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pas du côté de la servitude, et encore moins du côté de l’utopie. Il est dans un exercice plus régulier de droits désormais acquis, dans un esprit d’ordre et de prévoyance qui se développe de plus en plus, dans le respect mutuel des intérêts et des personnes, dans l’équilibre des modes d’activité, dans l’emploi mieux réparti des forces et des facultés sociales, toutes choses qui doivent nécessairement naître d’une longue pratique de la liberté et des leçons quelquefois sévères de l’expérience. En industrie comme en politique, on passera de l’abus à l’usage, on se dégoûtera des agitations stériles : la fièvre des intérêts se calmera comme s’est calmée la fièvre des petites ambitions. Il y aura toujours des douleurs ; quel régime ici-bas en est exempt ? mais peu à peu, les mœurs aidant, on verra s’accroître la somme du bien et diminuer celle du mal, sans qu’il soit nécessaire de recourir pour cela à une organisation arbitraire ou d’entrer dans le pays des rêves.

Sans doute l’économie politique ne repousse aucun des moyens de détail qui peuvent rendre le régime des intérêts moins pesant à l’ouvrier, fonder sa sécurité et préparer son bien-être. Toutes les institutions de prévoyance, tout ce qui tend à répandre dans les classes laborieuses des sentimens d’ordre et de solidarité, tout cela, la science l’accepte, le défend, le propage : elle ne veut rester étrangère à aucune idée morale, à aucune inspiration généreuse ; mais il lui est impossible de s’abuser sur les effets nécessairement restreints de ces combinaisons. Toutes, elles se fondent sur l’épargne, et l’épargne est une vertu facultative quand elle est possible : il n’y a donc rien de général à en attendre. La rendra-t-on obligatoire ? Il faudrait pour cela que le salaire fût plus que suffisant, ce qui n’est pas la règle, mais l’exception. Ira-t-on alors jusqu’à se placer entre l’ouvrier et l’entrepreneur, et à imposer à celui-ci soit un taux déterminé pour le salaire, soit toute autre charge accessoire au profit du salarié ? C’est faire d’un contrat libre un contrat forcé, et frapper la production en même temps que le producteur. Il est difficile d’échapper à ce cercle vicieux.

Avec M. Rossi, avec les véritables économistes, il faut chercher ailleurs un remède plus général et plus efficace. Parmi les maux qui affligent le monde industriel, il en est beaucoup qui dérivent de la situation fausse, précaire, factice, que nos lois ont faite aux intérêts. Ces lois multiplient sur tous les points les existences artificielles aux dépens des existences naturelles, et il en résulte des embarras et des lésions dont la main-d’œuvre se ressent. Au lieu de laisser les industries se distribuer d’elles-mêmes selon le vœu de la nature et l’aptitude des populations, au lieu de les maintenir dans un jeu uniforme où