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y avait fait, agrandi sa position. Son nom devenait de plus en plus inséparable des intérêts de la cité, de son rôle en Europe, de sa politique fédérale ; il aurait pu s’en tenir là et faire le calcul de César. Recommencer ailleurs, sur d’autres frais, une carrière scientifique et politique, se créer un nouveau public, une nouvelle clientelle, lui semblait une entreprise grave et chanceuse. Peut-être la prudence eût-elle été chez lui plus forte qu’une légitime ambition, si l’état précaire de la Suisse et les fluctuations politiques auxquelles le pays était en butte n’eussent jeté dans son esprit quelque lassitude et quelque découragement. Il était fatigué de ces tempêtes dans un verre d’eau, de ces batailles qui ne terminaient rien, de ces agitations sur place. Un dernier motif le décida : la mort de Jean-Baptiste Say venait de laisser vacante la chaire d’économie politique au Collège de France. Il songea à se mettre sur les rangs pour lui succéder, et, vers les premiers mois de 1833, il se rendit à Paris où ses amis avaient déjà préparé les voies à sa candidature. On sait que ces choix se font sur une présentation double, l’une de l’Institut, l’autre du Collège de France. Le Collège désigna M. Rossi, et l’Académie des sciences morales et politiques, M. Charles Comte, son secrétaire perpétuel. Le ministre se rallia au premier de ces suffrages, et M. Rossi fut nommé, en 1833, professeur au Collège de France, puis, en 1834, professeur de droit constitutionnel à la faculté de Paris. Des lettres de grande naturalisation suivirent de près ces deux investitures.

Depuis ce temps, M. Rossi appartient à notre pays, qui a fait en lui une acquisition précieuse. Il apportait dans l’enseignement des facultés solides et supérieures, un esprit exercé, judicieux, maître de lui-même, et en outre une fermeté de convictions qui prenait sa source dans un sens droit et de longues études. Jamais ces qualités n’avaient été plus nécessaires qu’au moment où il monta dans sa chaire d’économie politique. L’esprit d’aventures faisait alors de grands ravages ; de divers côtés, on voyait s’élever des écoles qui traitaient la science comme un spectacle et n’avaient pas assez de dédains pour les économistes restés fidèles à la tradition. Toute poursuite semblait vaine, toute amélioration puérile, quand elles n’embrassaient pas la société entière et n’avaient pas le caractère d’une métamorphose. Il ne s’agissait plus de définir la richesse, mais de la répandre par torrens ; il ne s’agissait plus d’expliquer les ressorts, qui règlent le jeu des intérêts, mais d’en briser les élémens, afin de les soumettre au creuset d’une transformation complète. Personne ne voulait accepter comme point