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n’était plus qu’une application tempérée, il est vrai, par les mœurs, de ces tristes maximes qui excusent tous les excès et justifient toutes les tyrannies.

C’est cette doctrine, que M. Rossi se proposa de combattre dans son Traité du droit pénal. Il s’y sépara résolument de la donnée sensualiste, et la poursuivit sous les divers déguisemens qu’elle avait pris ; mais, tout en repoussant ce principe dangereux, il ne se laissa point emporter par le principe contraire. On l’a accusé de ne voir dans la justice sociale qu’une expiation et d’en faire ici-bas la réalisation de la justice éternelle ; ce reproche porte à faux, il ne peut provenir que d’un malentendu. M. Rossi a expliqué nettement et à plusieurs reprisés que, si la loi morale est le principe souverain de la justice sociale, l’intérêt de la société en est le mobile et la mesure. Le pouvoir social n’a pas le droit, quelles que soient les suggestions de l’intérêt, de qualifier de crime et de punir un acte louable ou indifférent. Voilà quelle est la règle suprême. Mais il n’a pas non plus l’obligation de punir tous les actes immoraux, de calquer la répression sur le modèle de la loi morale. Le pouvoir social ne réprime, que les faits immoraux dont l’impunité ici-bas serait incompatible avec l’ordre matériel, il laisse les autres à la sanction morale et religieuse. L’intérêt social n’est donc pas le principe, il est seulement la mesure de la loi pénale. Le législateur doit se renfermer dans le cercle que la loi morale lui trace, il n’a pas le droit d’en sortir ; mais il n’est pas tenu de l’embrasser tout entier dans les prescriptions du droit positif. C’est sous l’inspiration de ce principe que M. Rossi a développé toutes les parties du droit pénal et donné la théorie de la responsabilité, de la tentative, de la complicité, ainsi que de la peine et de la loi pénale.

On voit combien ce thème est fécond ; M. Rossi en a tiré un parti très grand. Rien de plus lumineux que les analyses dont son livre est semé ; il y règne un attrait bien rare en des sujets aussi arides. La discussion y est soutenue avec une solidité et, une vigueur extrêmes ; parfois même elle va jusqu’à des conclusions trop sévères. L’école que M. Rossi était appelé à combattre avait eu sans doute le tort de s’enivrer d’une idée juste au début, mais dégénérée en erreur depuis qu’on en avait forcé les conséquences. Il importait de faire la part de l’excès, tout en rendant hommage au mérite de la découverte. Au moment où Beccaria et Bentham écrivirent, il s’agissait moins d’une organisation définitive que d’une protestation contre le passé. Voilà quel fut le titre des criminalistes du dernier siècle. Le nôtre a des devoirs différens, et c’est ainsi que tout système a une valeur relative qu’il ne faut