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Lowell. » Il y a là tout ce qui peut traverser l’esprit de jeunes filles oisives ; de la prose, des vers, des odes, des sonnets, de l’amour, du caprice, des caveaux et des tourelles ; un mélange des précieuses ridicules et des modernes romanciers.

Anna, Tabitha, Oriana, Lucinda, Gregoria, Alleghania, Atala, Gesmunda, Tancreda, Velleda (où donc vont se nicher les beaux noms du cabinet bleu d’Arthénice !), signent ces médiocres fragmens, dont à peine deux ou trois obtiendraient admission dans un journal européen de l’ordre le plus humble, mais dont l’ensemble est un curieux phénomène. Nous avons vu naître ici les poésies des ouvriers, qui, entre nous, disons-le tout bas, ne valent pas de bon pain et de bonnes bottes. Les Américains ont les poésies des ouvrières, que je n’hésiterais pas à donner en masse pour une paire de bas bien raccommodée ou un mouchoir convenablement ourlé. A quoi bon de la poésie ouvrière ? J’aimerais mieux des ouvriers poétiques, ne faisant de vers que si Dieu les leur commandé, et conservant au fond de leur cœur le foyer sacré du beau moral, l’amour de la nature et de l’honnête, et la virile énergie et la faculté du dévouement. De toutes les pièces des Tabitha et des Ellenora qui travaillent at the miils, une seule mérite d’être citée. L’idée en est grandiose et extravagante, le style élevé et bizarre, et, si cette fantaisie était tombée dans l’esprit de Jean-Paul-Frédéric Richter, non dans celui d’une factory-girl de Lowell, le grand mystique allemand lui eût donné une valeur puissante telles qu’elles sont, ces pages, sorties d’une plume de dix-huit ans, et de la plume d’une ouvrière vivant à l’autre bout du monde, sont fort singulières. Elles ont pour titre Pas de nuit, et offrent la contre-partie de cette création effrayante de lord Byron, Darkness (ténèbres). Ici, dans l’œuvre de l’ouvrière américaine, c’est au contraire le soleil qui ne se couche jamais, c’est le monde fatigué de splendeur, la vie demandant à Dieu du repos, de l’obscurité et du silence.

L’archéologie locale a donné quelques produits en Amérique comme en Angleterre. Il n’y a pas si petite fraction des États-Unis qui ne possède son historien, pas de petite ville qui ne veuille se présenter au monde dans un volume in-8o ou in-4o avec gravures. Le chef-d’œuvre de ce genre moléculaire est une Histoire de Beverly[1], petite ville de la Nouvelle-Angleterre, avec gravures, plans, cartes, biographies, etc. On ne se serait guère douté que cette honnête petite ville eût possédé

  1. History of Beverly, civil and ecclesiastical, from its settlement, by Edwin M. Stone ; 1842.