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répondu par un coup de pistolet (revolving pistols ), et tous les deux sont morts. » Voilà tout. Sous ce régime, la loi, c’est la haine, c’est la rage. Un nègre nommé Joseph est brûlé « à petit feu » par le peuple, avec une frénésie calme, qui eût fait honneur à l’inquisition dans ses beaux jours. La terreur en France était moins scientifiquement horrible ; elle ne brûlait personne « à petit feu. »

Je préfére les voyages américains à la plupart des livres qui viennent de ce pays, en exceptant ceux d’Emerson, Channing, Prescott et Irving. L’Américain du Nord est voyageur ; mais encore faut-il s’entendre : s’il voyage du côté de l’Europe, le préjugé, l’orgueil national, la rancune, l’aveuglent ou l’enveniment ; il voit mal et juge de travers, il se trompe. Dans les régions nouvelles et vierges, sa naïveté se conserve ; en face de la nature, il reproduit avec une vérité souvent piquante et même éloquente des émotions et des impressions qui lui plaisent. Les Incidens d’un voyage dans la province d’Yucatan, par E. Stephens[1], et le Galop à travers le paysage américain, esquisses de scènes et d’aventures américaines, par Silliman[2], méritent d’être distingués. C’est une véritable course au galop que le petit volume de Silliman, et, dans cette société qui va si vite, les meilleurs livres et les plus agréables styles sont ceux qui s’élancent à toute bride, ne s’embarrassant ni de philosophie ni de beau langage. Il y a dans les Esquisses de Silliman une peinture magnifique de la cataracte de Niagara pendant l’hiver ; cet immense palais de glace suspendue et étincelante, ce mouvement gigantesque arrêté dans l’air par une force magique, composent un des plus étourdissans spectacles dont on puisse s’aviser. La touche de l’auteur américain est facile, rapide, hasardeuse, un peu incorrecte, mais chaude, et n’en vaut que mieux. Les mœurs de l’Yuvatan, province qui, comme on sait, forme la pointe extrême de l’Amérique méridionale, les étranges habitudes de ce pays perdu, où les coutumes indiennes se mêlent aux souvenirs féodaux et aux traditions espagnoles, sont reproduites dans le voyage de Stephens avec beaucoup de vérité et de détails. C’est peut-être le livre où l’on trouve le plus de renseignemens neufs sur cette race intéressante des Maceguas, indigènes de cette portion de l’Amérique. « J’ai été témoin, dit M. Stephens, d’une représentation dramatique indienne qui m’a frappé ; les Indiens l’appellent Chtol ; la scène se passe du temps de la conquête. Les natifs, résolus d’opposer aux conquérans une résistance héroïque, se réunissent

  1. Incidents of Travel in Yucatan. 2 vol. in-8o, New-York, 1843.
  2. A Gallop among American scenery, or sketches of American scenery and, military adventure. New-York.