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l’on puisse isoler honorablement au milieu de cette forêt de versificateurs sont ceux de Street, Fitz-Greene-Halleck, William Cullen Bryant, Henry Wadsworth Longfellow et d’Emerson, dont nous avons déjà parlé. Street est un poète descriptif agréable et diffus. Halleck, surintendant du riche M. Astor, capitaliste et propriétaire du plus grand hôtel de New-York, est auteur de Marco Botzaris et de la Jaquette rouge, poèmes plus mélodieux que fortement pensés. Bryant lui est de beaucoup supérieur. Pour la solennité du ton, l’énergie contemplative, la gravité sérieuse, il rappelle souvent le poète allemand Klopstock, et n’est pas exempt de ses défauts ; la fantaisie et le libre caprice lui manquent trop. Vous errez avec lui sous une de ces sombres arcades de verdure qui abritent des flots lents et paisibles ; à peine quelques vagues émues rayonnent sous un rare soleil. Le ton du sermonnaire domine dans les deux recueils de ses poésies réimprimés à Londres[1]. Un fragment de ce poète donnera quelque idée de sa manière :


« Encore un jour, un jour d’été qui s’achève ! Le soleil est couché. L’occident est rouge, et les dernières heures s’en vont doucement ; elles ont rempli leur tâche, ces heures filles de Dieu. L’herbe a poussé sa verte tige, et les troupeaux en ont fait leur pâture. Le jeune rameau a développé sous le soleil son tissu de soie. Les fleurs du jardin et du désert se sont ouvertes pour mourir, et les graines fécondes, brisant leurs cachots, se sont ensevelies sous la terre où elles attendent le moment de la renaissance La vie continue son mouvement éternel… Partout, sous la muraille nue de la chaumière ignorée, sous l’or de l’alcôve princière, dans les greniers infects des capitales, de nouvelles mères, toutes joyeuses, ont pressé sur leur sein de nouveaux fils ; partout, sur la lisière de la forêt, sur la rive et dans les villes, de nouvelles tombes se sont creusées, — et remplies, — et refermées. Aujourd’hui des amis chers se sont séparés, et des amitiés nouvelles se soit liées ; la vierge long-temps priée d’amour a enfin cédé. — Encore un jour ! Entre deux ames qui s’aimaient, la première parole dure s’est échangée, et le bonheur est brisé. — Encore un jour ! Adieu, soleil ! adieu, journée ! adieu, vie qui finis, et toi, vie nouvelle, qui recommences ! »


Ralph Waldo Emerson, ministre unitaire aujourd’hui détaché de son église, dont il diffère quant à l’interprétation de la cène, mérite une mention plus spéciale, bien qu’il ait produit à peine deux volumes de vers et de prose. Aujourd’hui directeur d’une revue trimestrielle qui paraît à Boston, c’est l’esprit le plus original ou plutôt le seul que les États-Unis aient produit jusqu’à ce jour. On ne peut lui opposer ni

  1. The adventures of Tom Stapleton, by John M. Moore ; New-York, 1843.