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- « Très chère femme, reprend Washington, mon temps n’est pas à moi, et je ne suis venu que pour t’assurer[1], etc. » Le monde, qui a vu bien des épopées ridicules, n’en avait pas vu de pareille.

Que dire ensuite des grands hommes dont M. Griswold a peuplé son Parnasse américain, Trumbull, Alsop, Clason, sans compter Robert Payne, Charles Sprague, Cranche, Leggett, Pike, Hopkinson et près de cinquante autres ? L’un d’eux, Robert Payne, représente Washington debout, repoussant avec sa poitrine les coups du tonnerre et tenant son épée nue, « en guise de conducteur électrique, pour diriger la foudre vers l’Océan où elle va s’éteindre. » Ce héros-paratonnerre produit un bel effet ; c’est le chef-d’œuvre de la poésie-machine. Quelques autres, par exemple Percival, ont poussé aussi loin que possible l’art d’entasser les mots sans idée : « Oui, dit-il quelque part (nous le traduisons littéralement), l’arc-en-ciel nébuleux qui se joue en frémissant dans les flots d’azur du ciel, et l’écume chatoyante dont les nymphes sacrées entourent l’ame vibrante et l’harmonie innée du poète c’est la poésie » A la bonne heure M. Charles Sprague, caissier de la maison de banque du globe dans le Massachussetts, et qui vit fort retiré, fabrique laborieusement sur le modèle de Pope des vers didactiques, sans originalité et sans élégance, c’est quelque chose de curieux qu’un Pope républicain, américain et caissier.

M. Fana, auteur du Boucannier, et M. Drake, qui a écrit la Fée coupable, s’élèvent un peu plus haut M. Jean Pierrepont, avocat renommé et auteur des Airs de Palestine, est excessivement moral, monotone et peu poète Plusieurs femmes, mistriss Osgood, mistriss Sigourney, et mistriss Brooks, surnommée Marie de l’Occident, ont publié des poèmes. Ceux de la première sont d’une puérilité prétentieuse, la seconde ne se distingue que par une verbeuse facilité ; quant à mistriss Brooks, auteur de Zophiel, son talent extraordinaire est si fatigant par l’entassement des couleurs, des sons et des images, par la complication du rhythme et par la recherche fantastique du sujet, que l’esprit et l’oreille demandent également grace au poète. Les seuls noms que

  1.  « … For me, as from this chair I rise,
    So surely will I under take this night
    To raise the people. . . »
    « There by her glistening board, ready to pour
    Forth the refreshment of her chinese cups. »
    (Washington, canto Ier, v. 70.)