Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/532

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

États-Unis, il n’y a qu’un pas ; au moins cette dernière commence-t-elle à professer avec une logique hautaine le dédain de la philosophie, de la poésie et des arts. Dans un des recueils américains les plus répandus :[1], le rédacteur, à propos des romans peu dangereux de Frederika Bremer, écrit six pages contre la fiction en général et roman en particulier. La vie positive et pratique, dit-il, suffit l’homme ; l’imagination est un péril, les arts sont un malheur. Que les Américains se rassurent, l’imagination et le raffinement ne sont pas près de les ruiner. Dans un autre article du même recueil, la philosophie est traitée avec le même sans-façon. En définitive, ce sont les plus hautes facultés de l’esprit que l’on frappe d’anathème ; et ce qui nous effraierait, si l’avenir n’était pas le grand réparateur, c’est que la civilisation moderne paraît s’engager tout entière dans cette rainure d’un matérialisme épais, si contraire au progrès de la destinée humaine.

Cette civilisation américaine, née de la prose, bâtie sur la prose, en lutte contre la matière, et n’estimant, quand elle se rend compte d’elle-même, que la matière exploitée au profit du corps, n’en a pas moins ses poètes ; elle en a même une foule, et cela se comprend ; la poésie ne leur coûte rien, ils la fabriquent à leurs momens perdus, comme on s’amuse le dimanche à la paume ou au billard, quand on a passé la semaine sous le joug laborieux d’une industrie casanière. Un M. Rufus William Griswold s’est plu à recueillir en un énorme volume qui en

  1. New England’s Magazine.