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la métamorphose, on reconnaît l’éloquente énergie de l’écrivain moderne.

Le titre même de l’ouvrage, Lays of ancient Rome, est germanique : c’est le lioth des Islandais, le lied des Germains, le lay des Anglo- Normands et des Anglais. Niebuhr et Herder pensent que les élémens primitifs de l’histoire, chez tous tes peuples, se composent d’abord de rhythmes traditionnels, phénomène curieux que Lessing et Leibnitz avaient pressenti, et qui paraît aujourd’hui prouvé. Mais plus ces élémens frustes se rapprochent du berceau des races, plus ils conservent la vive empreinte du caractère de la race même ; le chant skalde, tragique, dramatique, grandiose, s’éloigne complètement du fragment keltique, vif, animé, tissu de faits rapidement déduits ; la plainte lente du Serbe a sa nuance précise, comme le récit naïf et passionné de la ballade écossaise. Il ne faut pas confondre ces caractères, et nous craignons bien que les chants romains de M. Macaulay ne soient des chants germaniques.

Si Tite-Live, dans les premiers livres de son histoire, n’a fait que mettre en prose les anciens chants romains, ce grand artiste et sa merveilleuse habileté d’historien ont dû faire subir aux fragmens barbares qu’il élaborait un changement conforme à l’époque de civilisation pour laquelle il écrivait. Son mérite est d’avoir conservé la grandeur dans la pureté, la simplicité poétique dans l’éclat de l’imagination, et sous ce point de vue il est inimitable. Qu’un homme du XIXe siècle, Écossais d’origine, membre du parlement, philosophe, penseur, mêlé à toutes les grandes affaires, aussi lettré que possible, et placé à la tête de la société anglo-saxonne de ce temps, imagine de ressusciter la vieille chanson latine en disséquant et retravaillant la prose de Tite-Live, c’est un tour de force d’archaïsme qui pouvait séduire un moderne et que l’on étudie avec intérêt, mais qui rencontrait dans la nature même des choses son invincible obstacle.

Rien ne prouve mieux ce fait, qu’on ne devrait jamais perdre de vue, et auquel beaucoup d’intelligences distinguées résistent encore faute d’études comparatives suffisantes : l’invincible séparation des génies et des races, — romain méridional d’une part, et germanique septentrional de l’autre ; — fait unique, qui donne à lui seul la clé de l’histoire littéraire des temps modernes, et qui se manifestera de plus en plus, comme une loi générale et génératrice, à mesure que la hardiesse des esprits sages étudiera de plus près ces matières subtiles et de difficile maniement. Qu’est-il advenu en effet lorsqu’un des écrivains les plus accomplis d’Europe, bon classique d’ailleurs, sachant