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d’Hercule où l’on conduisait les enfans malades, et dans lequel un ancien usage voulait, qu’on leur fit ôter et reprendre leurs vêtemens. Aujourd’hui, une église remplace le temple d’Hercule, et la coutume a subsisté d’y conduire les enfans et de les y dépouiller de leurs chemises[1].

Enfin, il y a telle croyance populaire, reste d’un mythe antique, dont l’origine est due à quelque accident bizarre du sol qu’on peut observer encore. Près d’Athènes, sur la route du Pnyx au Pyrée, est une roche appelée la Méchante Sorcière ; on croirait voir une vieille femme assise. M. Dodwell pense, avec beaucoup de vraisemblance, que cette forme singulière a donné naissance à l’histoire d’Aglaure ; la jeune fille, métamorphosée en rocher[2], est devenue la vieille sorcière ; le rocher à forme humaine du mont Sypile a fait inventer cette admirable histoire de Niobé, qui exprime si heureusement comment l’ame est endurcie et pétrifiée par une grande douleur. Après avoir décrit avec un grand bonheur d’expression les belles stalactites qu’on admire dans une grotte de l’ile d’Ithaque, un spirituel touriste, M. d’Estourmel, dit ingénieusement : « Il me semblait reconnaître les prestiges décrits par le prince des poètes, et ces métiers taillés dans la pierre, où les belles nymphes travaillaient à tisser les étoffes de pourpre qui sont les merveilles des yeux. » Je cite, avec plaisir le Journal d’un voyage en Orient, ce livre où des impressions fines et sincères sont reproduites avec tout le charme et toute la vivacité de la plus piquante causerie, et qui inspire tout à la fois le désir de faire le voyage et de connaître le voyageur.

Les légendes sont la poésie du peuple, et il est intéressant de les suivre en remontant jusqu’à leur origine. Hérodote parle du fantôme de Marathon. Pausanias rapporte qu’un personnage mystérieux parut dans la mêlée, abattant les barbares avec un soc de charrue ; il dit aussi que près des monumens de Miltiade et de Cimon, on entendait de son temps, pendant la nuit, un tumulte de chevaux et de combattans. Aujourd’hui, les bergers croient encore entendre dans les marais des bruits étranges, et voir un petit homme chevaucher sur le mont Vrana : ce petit homme est un diminutif du fantôme de Marathon. Ailleurs d’autres traditions se sont transmises avec une fidélité qui étonne. Le promontoire de Leucade s’appelle encore le promontoire

  1. Ce fait, ainsi que plusieurs de ceux qui précèdent, m’a été communiqué par le zélé et savant antiquaire athénien M. Pittakis.
  2. Dod., Trawels, I, 406.