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abject, et fut réduit à solliciter et à emprunter d’hommes qu’en d’autres temps il aurait tenus à une incommensurable distance. »

Brummell n’eut bientôt plus à Caen, pour unique ressource, que les services d’un de ses compatriotes appelé Armstrong, qui faisait toutes sortes de commerces. Il était réduit à lui faire des emprunts de 100 francs. « Mon cher Armstrong, lui écrivait-il un jour, envoyez-moi 70 francs pour payer ma blanchisseuse, je ne puis pas obtenir d’elle une chemise et elle meurt de faim à cause de moi. Je n’ai pas de quoi payer mon médecin ni mes ports de lettres. » Pour comble de malheur, le consulat anglais à Caen fut aboli. Il paraît que lord Palmerston, alors ministre, fit demander à Brummell si le consulat était absolument nécessaire. Brummell, qui espérait se faire envoyer en Italie, répondit qu’il n’y avait rien à faire à Caen. Lord Palmerston profita de l’avis, supprima le consulat, et ne donna à Brummell que des promesses. Tout-à-fait sans ressources, le malheureux beau fit appel à ses amis de Londres, et à l’automne de 1832, il envoya Armstrong en Angleterre pour faire une quête. La démarche réussit ; le duc de Wellington, lord Willougby, lord Burlington, lord Pembroke, M. Standish, et, le premier de tous, lord Alvanley, couvrirent la souscription, et l’ambassadeur de Brummell revint avec une somme suffisante pour payer les dettes courantes ; mais, naturellement, c’était toujours à refaire. Le plus fort créancier, d’ailleurs, le banquier de Calais, n’était pas payé. Il se lassa, et au printemps de 1835, il fit arrêter son infortuné débiteur. Brummell était au lit, et dormait quand on vint le prendre. Brusquement réveillé, et se voyant entre les mains de la justice, il s’abandonna au plus violent chagrin. Il demanda qu’on le laissât seul un instant pour s’habiller, et ne put l’obtenir. « Ceux qui ont connu Brummell, dit son biographe, imagineront quel effet cela dut produire sur sa vanité et sur sa recherche habituelle. Pour la première fois de sa vie peut-être, il fut obligé de s’habiller à la hâte. »

Dans les premiers jours qu’il passa en prison, il tomba dans le plus profond découragement. Toutes ces superfluités de la vie, qui lui étaient devenues de plus en plus nécessaires avec l’âge, lui manquèrent à la fois. Il ne commença à se remettre que lorsqu’on lui eut rendu ses savons, ses pommades, son eau de Cologne, tout ce qu’il appelait ses « comestibles. » Il reprit alors ses habitudes, et un de ses compagnons de prison raconte « qu’il consacrait trois heures à sa toilette, se rasait tous les jours, et faisait des ablutions complètes de toutes les parties de son corps. Pour cette opération de propreté, inouie dans les fastes de la prison, douze à quinze litres d’eau et deux litres de lait lui étaient régulièrement apportés. » Le créancier de