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politique de son pays. Lady Georgiana Spencer, duchesse de Devonshire, est certainement une des figures les plus originales et les plus éclatantes de ce temps extraordinaire. Mariée à l’âge de dix-sept ans, et à la tête de la société anglaise par sa beauté ; son esprit, le rang et l’immense fortune de son mari, elle devint bientôt comme le foyer autour duquel se groupèrent les hommes les plus illustres : Fox, Wyndham, Burke, lord Townshend, Sheridan et d’autres. Elle fit fureur ; ses caprices devinrent des lois ; et son nom fut donné à tout ce que la mode voulut inventer. Elle recevait dans Devonshire-House avec une splendeur qui éclipsait complètement celle de la cour ; on y jouait avec l’entraînement qui caractérisait ce temps révolutionnaire. Fox et Sheridan étaient, comme on sait, des joueurs impénitens, et la belle duchesse était elle-même passionnée pour les jeux de hasard. On se souvient encore de la part active qu’elle prit, aux affaires publiques, au milieu d’un mélange de scandale et d’enthousiasme. Quand la guerre d’Amérique éclata, on la vit parcourir les camps avec l’uniforme de la milice de Derby. Quand la guerre fut déclarée à la France, elle se mit à l’ouvrage avec toutes ses amies pour faire des gilets de flanelle pour les troupes. Mais ce qui est resté plus célèbre, ce fut le rôle qu’elle joua dans l’élection de Fox en 1784. A cette époque, les élections ne se faisaient pas en un seul jour comme depuis le bill de réforme ; le poll restait ouvert des semaines entières, et chaque jour voyait de nouvelles batailles. L’élection de Westminster (un des quartiers de Londres), où Fox se portait, se prolongea pendant un mois et dix-sept jours. Durant ces six semaines, il régna dans Londres une véritable fièvre. Les femmes, comme les hommes, portaient des faveurs et des cocardes à la couleur du candidat. Les plus grandes dames s’oublièrent, dit-on, jusqu’à s’arracher mutuellement leurs insignes en criant : Vive Fox ! ou, Pas de Fox ! A un dîner chez le prince de Galles, on attacha secrètement avec une épingle les couleurs de Fox sur la tête de lady Talbot, qui était une violente tory, et qui, lorsqu’elle s’aperçut du tour, arracha la cocarde et la foula aux pieds, au milieu des rires des assistans. La duchesse de Devonshire brilla par-dessus toutes. On l’appelait et on l’appelle encore la duchesse de Fox. Accompagnée de sa sœur, lady Duncannon, presque aussi belle qu’elle, elle alla bravement tous les jours aux hustings en brillant équipage, avec des faveurs sur son chapeau et d’autres sur la poitrine, portant le nom de Fox. Elle allait quêter des voix pour son candidat dans toutes les boutiques, et entraînait les électeurs éblouis et émerveillés de sa grace et de sa beauté. Quelquefois elle en emmenait dans sa voiture. Un charbonnier qui la regardait avec admiration