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ans il fut nommé cornette dans le 10e hussards, alors commandé par l’homme qui devait exercer le plus d’influence sur toute sa vie, son illustre ami et ennemi, le prince de Galles. Le prince avait à cette époque trente-deux ans, et il se prit d’une prédilection toute particulière pour le jeune cornette dont l’esprit vif et caustique, les manières élégantes et la bonne tenue le mirent d’emblée, au premier rang dans la jeunesse dorée qui entourait l’héritier du trône. Il faisait, du reste, son métier en amateur ; il ne reconnaissait sa troupe, disait-il, que grace à un de ses hommes doué d’un nez bleu qui lui servait d’enseigne. Il ne brillait qu’à table, où il avait toujours en réserve un fonds inépuisable d’histoires et de chroniques. Quoiqu’il eût les chances les plus heureuses d’avancement, et qu’il eût été fait capitaine à dix-huit ans, Brummell quitta subitement la carrière militaire, qui, en effet, ne lui convenait guère ; car nous ne voyons pas que, dans tout le cours : de sa vie, il ait jamais manifesté un excessif amour du danger. Ce qui contribua aussi beaucoup à sa détermination, ce fut le désir de s’affranchir de l’usage de la poudre que l’on ne conservait plus que dans l’armée. La grandeur et la décadence de la poudre formeraient un chapitre assez plaisant de l’histoire de l’Angleterre à la fin du XVIIIe siècle. On n’imagine pas la part que prit la politique à la révolution qui s’opéra alors dans les chevelures des trois royaumes. En 1795, M. Pitt, le grand ministre tory, pour subvenir aux besoins de son échiquier, frappa d’une taxe l’usage de la poudre. Tout aussitôt, la jeune Angleterre de ce temps-là, dont le foyer était la maison du duc de Bedford, mit la poudre au ban de la mode et de la fashion. Tous les dandies et macaronis du parti whig entrèrent dans une sainte alliance contre cette branche nouvelle du budget, et s’engagèrent, sous peine d’amende, à porter leurs cheveux au naturel. Au mois de septembre 95, il y eut à l’abbaye de Woburn, la résidence héréditaire des Russell, un lavement solennel des cheveux de l’opposition, et une répétition générale du massacre des Innocens, représentés par les queues de l’ancien régime. Parmi les familiers de cette inquisition d’un nouveau genre, on comptait le marquis d’Anglesea, lord Jersey, lord William Russell, M. Lambton, le père de lord Durham, et d’autres encore qui occupaient un rang considérable dans leur pays, et qui donnaient le ton à la mode. Le ministre tory se vit ainsi privé d’une source de revenu sur laquelle il avait compté : on lui prêta un instant l’idée de faire, face à ce déficit en taxant l’usage des faux cheveux ; mais il parait que M. Pitt recula devant l’indignation des toupets et des tours, et cette audacieuse atteinte à l’habeas corpus resta l’état de projet.