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qui fait le lion. Le véritable lion, c’est la chose remarquable du moment c’est la curiosité du jour. Chodruc-Duclos, avec ses haillons, a été un lion ; Abd-el-Kader, s’il venait à Paris, serait un lion ; les Bédouins, les Bayadères, Listz, ou Mlle Taglioni, tout ce qui fait courir la cour et la ville, voilà ce qui constitue véritablement le lion. Il y a un siècle, ceux qui donnaient le ton à la mode s’appelaient, en Angleterre, des macaronis, plus tard ils s’appelèrent des dandies ; mais dans tous les temps, on les désigna par le mot français de beaux. En France, l’empire de la mode est un peu une république nous avons beaucoup d’hommes élégans ; mais il n’y a pas de chef d’école. Que voulez-vous ? c’est le malheur de notre, temps ! Il n’y a de doctrine nulle part, ni dans la politique, ni dans les arts, ni dans les lettres, ni dans la cravate. En Angleterre, au contraire, ce pays de la discipline, la mode est une institution monarchique et héréditaire ; il y a toujours un prince régnant. Celui d’aujourd’hui est bien connu : nous ne le nommerons pas, parce que cela ne nous regarde pas ; mais son prédécesseur appartient à l’histoire.

Le capitaine Jesse, avec la sollicitude naturelle aux biographes, et particulière aux biographes anglais, se livre à beaucoup de recherches sur la généalogie de son héros. Nous nous contenterons de dire que le grand-père de Brummell était ce qu’on appelle en anglais un confectioner, c’est-à-dire un pâtissier-confiseur, et que son père, protégé par lord Liverpool et par lord North, successivement ministres, et secrétaire particulier du dernier, fit une assez belle fortune, et laissa à ses trois enfans environ 1,600,000 francs. C’est à peu près tout ce que l’on sait des ancêtres de George Brummell ; ils furent moins célèbres, mais plus honnêtes et plus heureux que leur descendant, et eurent l’avantage de faire un meilleur métier que le sien.

Brummell (George Bryan) était né le 7 juin 1778. Son père le nuit au collége d’Eton, où est élevée toute la jeune aristocratie britannique. Il paraît qu’il y manifesta, dès son plus jeune âge, les qualités qui devaient plus tard le rendre si célèbre, et que s’il ne se distinguait pas par la supériorité de ses études classiques, il était absolument sans rival dans l’art de se coiffer et de ne pas crotter ses bas quand il pleuvait. On l’appelait dès-lors buck Brumell (lapin Brummell). Le mot dandy n’était pas encore inventé. Un de ses condisciples affirmait qu’il n’avait jamais été fouetté. « Or, ajoutait-il, un homme qui n’a jamais été fouetté ne vaut pas le diable. » Brummell passa ensuite à l’université d’Oxford, où il continua de cultiver les relations aristocratiques qu’il avait formées à Eton ; il y resta peu de temps, et à l’âge de seize