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même pour les vérités communes. Plus rationnels que pratiques, ils pouvaient manquer quelquefois de l’art, sinon d’exciter les intelligences, du moins d’échauffer les ames, et ils semblaient plus faits pour agir sur l’esprit humain que sur l’esprit des hommes. Il y avait en eux ce qui fonde une école plutôt que ce qui forme un parti.

On reconnaissait dans cette partie de la presse opposante l’influence de la philosophie que nous avons décrite, comme dans l’autre partie les traditions améliorées de la révolution française. Des deux côtés étaient de nobles esprits, dont les efforts ont diversement, mais peut-être également, contribué à la formation de la pensée publique. Pour compléter le dénombrement, je devrais citer encore des écrivains qui vinrent d’un nouveau point de l’horizon et s’entendirent avec les uns et les autres Dans une région sociale différente, des hommes du même âge, appartenant pour le plus grand nombre aux classes élevées par la révolution et l’empire aux fonctions publiques, avaient su se défendre des piéges et des séductions du pouvoir, et, pénétrés des idées et des sentimens contemporains, sacrifier à leurs convictions de faciles avantages. Ils apportaient à la cause plus de connaissance de la scène politique et des acteurs, et comme une expérience anticipée. Moins populaires que les uns, moins originaux que les autres, ils ne pouvaient exercer le même ascendant, ils pouvaient rendre autant de services. Nul n’avait aussi librement qu’eux choisi sa direction, nul ne se rendait mieux compte de son choix Leur patriotisme moins communicatif n’était ni moins pur ni moins fidèle, et une absolue liberté d’esprit leur donnait une clairvoyante impartialité. C’étaient toutefois des combattans redoutables, car ils avaient vu de près l’ennemi, le connaissaient bien, et l’attaquaient sans colère comme des soldats volontaires qui guerroient par honneur et par goût. Enfans de Paris pour la plupart, ils avaient ce qui est si puissant à Paris, l’arme de la conversation, et ils servaient par elle au moins autant que par leur plume la cause qu’ils avaient embrassée.

Je raconte ce que j’ai vu. De ces trois classes d’écrivains, la première arriva exclusivement par la presse périodique ; la seconde, venue presque tout entière de l’Université, passa de l’enseignement à la presse et de l’étude à la controverse. A la tête de l’une, le lecteur aura déjà placé M. Thiers ; au premier rang de l’autre, on devinera qu’il faut mettre M. Jouffroy.

Je me rappelle encore les jours où je les rencontrai l’un et l’autre, non pas ensemble, ils ne furent jamais rapprochés, et ceux avec qui je venais formaient comme un intermédiaire entre les deux. Des sentiers