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absolu que son principe a péri. La prétention serait non moins malheureuse et beaucoup plus ridicule aujourd’hui, et aucun pouvoir existant n’a de principe à soustraire à l’examen. Mais si le rationalisme s’applique à tout désormais, le doute universel n’est pas pour cela l’état permanent de cette société ; et comme je crois fermement que la vérité a un droit naturel et divin sur la raison, et que la raison est naturellement et divinement apte à la vérité, je regarde la croyance comme le prix de la réflexion, et je vois la foi au terme de l’examen.

Ces considérations nous éloignent moins qu’il ne semble de la jeunesse de M. Jouffroy. Elle a passé par toutes les épreuves ; elle a été livrée aux incertitudes inévitables, et sa raison a subi la loi commune, le travail. Le pain spirituel aussi n’est gagné par l’homme qu’à la sueur de son front.

Les études littéraires éclairent l’intelligence, forment le goût, élèvent les sentimens, inspirent l’amour de ce qui est pur et beau ; mais aux esprits méditatifs elles ne suffisent pas. Elles ne nous entretiennent pas nécessairement des principes des choses, et laissent beaucoup à faire à celui qu’un impérieux penchant force à se rendre compte de ce qu’il pense. Des armes défensives lui manquent contre les attaques du scepticisme contemporain. Il peut devenir insouciant et frivole ; du moins quelque chose n’est pas développé en lui, ce qu’on pourrait appeler la conscience de l’esprit Les études philosophiques seules comblent le vide. Voilà, pour le dire en passant, le motif qui en fait le nécessaire complément de l’éducation des collèges. Elles donnent pour accompagnement à l’amour du beau l’amour de son camarade, le vrai. Elles n’ont point pour but de consacrer tous les hommes à la méditation des problèmes spéculatifs ; mais elles font plus que leur donner une teinture de ce que la raison humaine, attestée par ses plus dignes organes, a pensé sur les questions qui touchent de plus près l’humanité. La philosophie des écoles a pour principal avantage d’inculquer à la jeunesse que la raison aussi a des devoirs, parce qu’elle a une loi, la vérité. Sans études métaphysiques, on peut assurément déployé de grands talens comme de grandes vertus ; mais la raison demeure sans règles. Il manque à l’esprit des principes ; c’est une lacune que rien ne remplit, et dont j’ai vu souffrir, jusque dans l’âge mûr, les meilleurs esprits.

M. Jouffroy demandait beaucoup à la philosophie. Il espérait d’elle la solution de toutes les questions ensemble, car elles s’agitaient toutes autour de lui. En France, quand la controverse s’élève, elle est encyclopédique. Il cherchait dans une science qui renaissait alors l’apaisement