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non pour faire un système, il n’y songeait pas alors, non pour opérer une révolution dans les sciences, il n’eut jamais cette ambition, mais seulement pour savoir que penser, pour donner plus de calme à son esprit et dissiper un malaise intérieur. C’est ainsi qu’il devint philosophe.

Simple écolier, il ne s’était distingué que par les talens littéraires qui s’annoncent dans les collèges ; rien ne révélait en lui une autre aptitude. Il savait à peine ce que c’était que la philosophie ; seulement, ne trouvant rien dans ses études qui répondît aux désirs de sa raison, rien qui résolût cette question immense et vague qu’il se posait incessamment et confusément : que sais-je et que dois-je penser ? Il apprit un jour qu’il existait une science dont la prétention était justement de répondre à cette question-là N’était-ce donc pas ce qu’il cherchait péniblement, ce qui devait lui donner ce qui lui manquait, le guérir enfin et le ranimer ? Avant de posséder la science comme un bien, il la salua comme une espérance.

C’était à l’École normale. Ses succès de collége lui avaient ouvert cette école célèbre, plus puissante encore qu’elle n’est célèbre, et dont l’influence aura été grande sur notre temps. Institution singulière qu’on aurait peine à croire une œuvre impériale, si ce n’était un fait historique que la volonté de Napoléon fonda ce séminaire où la puissance de l’esprit de corps devait étroitement s’unir à celle de l’indépendance de la pensée. L’École normale de 1813 ressemblait peu à celle d’aujourd’hui L’érudition y était faible, et l’étude de l’antiquité plus littéraire qu’archéologique. Au-dessus des lettres elles-mêmes, il y dominait une préoccupation des choses dont les lettres ne sont que l’expression. L’amour, du beau dans les arts d’imagination n’y avait que la seconde place, et l’enthousiasme des idées y prenait le pas sur l’admiration du talent. Au spectacle de la chute du colosse impérial, au bruit des débats retentissans que rouvrit la restauration, ces jeunes ames s’émurent, et, à défaut de systèmes arrêtés, toutes les sérieuses pensées assaillirent leur cœur. Dans leur propre sein s’engagea la lutte intestine des opinions qui semblaient se disputer le monde, et si tous ne furent pas dès le premier moment ralliés dans une croyance immuable, ils le furent du moins dans la persuasion commune qu’il y a une idée en chaque chose, des principes pour tout, que le monde matériel, politique, social, n’existe que pour le monde moral, et que tout sur la terre reconnaît la souveraineté de la pensée. Que ce soit l’éternel honneur de M. Royer-Collard d’avoir implanté au sein de l’élite de la jeunesse française cette généreuse foi du spiritualisme