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forme nécessaire et consacrée des croyances les plus essentielles de l’humanité. Nul esprit élevé ne lui dispute cette inviolabilité historique qui en fait comme une institution perpétuelle. De qui lui refuse la croyance, elle obtient facilement la vénération. Or la contre-révolution se croyait à juste titre des devoirs envers elle. Qu’en voulait-elle faire cependant ? Un moyen de gouvernement, un instrument politique, et comme un châtiment de l’esprit du siècle. A l’en croire, Dieu punissait les peuples par les révolutions, et les révolutions par les restaurations. Ainsi le christianisme, qui, dans son vaste sein, devrait recevoir toutes les formes politiques, le christianisme, qui, s’il a des préférences pour quelque régime, en devrait à celui qui tient le plus de compte de la dignité humaine, semblait accepter pour mission de reconstruire toutes les usurpations renversées, toutes les inégalités détruites. Lui qui se glorifie de l’abolition de l’esclavage, on le présentait comme incompatible avec l’émancipation des peuples. On paraissait ne le réhabiliter que comme l’ancien régime de la raison et l’auxiliaire du pouvoir absolu. Telle était la religion pour le système de 1815, quelque chose de périssable comme un gouvernement et de commode comme un moyen de police. En toutes choses, la restauration a imité ce prince de triste mémoire qui, pour retrouver le respect des peuples, allait rouvrir les caveaux de l’Escurial, et qui, rapportant un cadavre du tombeau sur le trône, mettait la couronne sur un front livide, le sceptre dans une main glacée, et croyait ainsi faire réparation à la royauté en rendant ses insignes aux restes inanimés d’une reine au cercueil.

Il n’y avait point de chance de convertir la nation. Cette tentative de remettre debout des préjugés abattus pouvait produire des hypocrites, non des croyans. La France se laissa faire, et non persuader. Sa raison résista, et même elle se développa par la résistance. La lutte lui fut bonne, et lui rendit ses forces en les éprouvant. Mais au début, quand la restauration commençait, qu’on se représente la situation d’un esprit élevé et sérieux, mis à l’épreuve du conflit d’idées qu’amenèrent les évènemens de 1815. N’avait-on pas tout autrement droit alors de se plaindre et de déplorer le désordre des intelligences ? Il fallait se défendre contre un double courant d’idées et de passions contraires, résister à deux réactions opposées qui s’appelaient l’une l’autre et choisir entre elles deux la bonne voie avec discernement et résolution. Pense-t-on qu’il fût alors si doux et si aisé de faire un choix, de dégager la vérité de tout ce que les souvenirs, les ressentimens et les préjugés y mêlaient d’altération, de profiter enfin de l’expérience de tous,