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de dignité. La religion, admise à titre de nécessité politique, se voyait interdire la controverse, l’enthousiasme, le prosélytisme. Il paraissait aussi inutile de la discuter qu’inconvenant de la défendre. Une littérature sans inspiration attestait la froideur des esprits, et, par-dessus tout, un besoin de repos, trop motivé par les évènemens, mais aveugle et pusillanime, subjuguait, énervait les plus nobles cœurs. Déçue dans toutes ses espérances, lasse de ses aventureuses tentatives, la raison était comme humiliée.

La restauration vint, et ce ne fut pas sa faute, si elle n’augmenta point le mal. Elle se croyait elle-même un démenti donné à toutes les croyances de la fin du XVIIIe siècle. Elle se présentait comme une leçon pour les peuples, comme une victoire sur les idées modernes. Ce qu’elle trouvait de moins offensant à signifier à son temps, c’est qu’elle le guérirait de ses illusions, et le rendrait sage en lui contestant toutes ses découvertes, en lui supprimant toutes ses créations. Pour se ressaisir de la société française, on lui faisait incessamment son procès. Nous avons été élevés à nous entendre relire tous les jours notre acte d’accusation, et nos prétendus maîtres ne nous enjoignaient que de cesser d’être nous-mêmes. Il fallait, pour leur plaire, tuer en nous, non pas le vieil homme, comme disent les théologiens, mais l’homme nouveau.

Des préjugés peuvent être utiles, ils peuvent même être vrais ; mais une fois détruits, les vouloir rétablir à titre de préjugés, c’est une entreprise insensée. On ne refait pas de main d’homme l’œuvre du temps. On ne peut ramener les esprits à des vérités méconnues ou délaissées qu’en rajeunissant leur forme, qu’en les délivrant de cette rouille du passé qui les cache et les ronge. L’or d’une médaille fruste peut être fin et pur, la médaille même est précieuse comme monument ; cependant elle ne peut plus servir à rien, et il la faut refrapper si l’on veut en faire de la monnaie.

La restauration ne connut jamais ni sa force ni sa faiblesse. Sa force aurait été de se fier au présent, sa faiblesse était de s’en tenir au passé. Si en épousant le pays elle eût adopté ses intérêts et ses sentimens, si, forte de la situation que lui créaient les souvenirs de l’histoire, elle eût en quelque sorte apporté le passé en dot au présent, l’union durerait encore, et elle aurait réussi à remettre en honneur le peu de vérités politiques dont elle avait conservé le dépôt. Il n’en est aucune qu’elle n’ait compromise.

Prenons pour exemple la plus sainte de toutes, la religion. Malgré certaines doctrines philosophiques, elle demeure au moins comme la