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y avait le plus de prépondérance, George III n’a-t-il pas fait prévaloir la volonté royale pour le mal comme pour le bien de l’Angleterre, dans la guerre de l’indépendance américaine comme, en 1784, lorsqu’il appela Pitt au ministère, malgré la chambre des communes ? Que la couronne se pose sur une tête puissante, elle n’aura pas de peine, tout en respectant les institutions représentatives, à s’emparer de cet ascendant dont la supériorité intellectuelle suffit à investir, au sein même d’une société aristocratique et vieillie, un jeune homme tel que William Pitt ou le fils d’une cantatrice, comme George Canning.

M. d’Israeli est partisan déclaré de cet ascendant individuel ; il prête à son banquier Sidonia et à Côningsby le culte des hommes qui personnifient en eux de grandes causes, de grands intérêts, et qui, pour commander l’admiration après leur mort, ont impérieusement assujéti, pendant leur vie, à leurs desseins et à leurs résolutions, leurs amis, leurs ennemis et la fortune. Or, par une de ces contradictions choquantes dont fourmille Coningsby, M. d’Israeli fait précisément un crime à sir Robert Peel de la domination qu’il a acquise et qu’il exerce sur le parti tory. M. d’Israeli croirait-il justifier son inconséquence par la boutade, suivante obliquement dirigée contre le leader actuel de la chambre des communes ? « Mettez, dit-il, à la tête d’un parti un homme qui inspire l’enthousiasme, il commandera au monde entier. Faculté divine ! rare et incomparable privilège ! un chef parlementaire qui le possède double sa majorité ; celui qui n’en est pas investi a beau s’envelopper d’une réserve étudiée, et affecter avec une arrogance sans dignité une hauteur maladroite, il n’en sera pas moins aussi éloigné de gouverner l’esprit que de captiver les cœurs de ceux qui le suivent en murmurant. » Je craindrais de ne pas éviter moi-même le ridicule, si je m’arrêtais sérieusement à ces puérilités : je les indique, seulement pour montrer quels beaux prétextes certains tories, fatigués de l’ère des hommes d’état financiers et économistes, des tradesmen, comme ils disent avec mépris, sont obligés de donner à leur mécontentement. J’estime encore assez l’esprit politique de M. d’Israeli pour être persuadé qu’il ne regarde pas lui-même la faculté magnétique d’inspirer l’enthousiasme comme une vertu indispensable dans un grand homme d’état. Il saurait bien citer lui-même plus d’un éminent politique à qui elle a manqué tout-à-fait. M. d’Israeli n’ignore pas que l’enthousiasme ne va pas à toutes les situations, et que cette émotion ardente ne peut être produite que dans ces crises extraordinaires où les évènemens qui se précipitent soulèvent les passions exaltées. Sans lui supposer l’admiration qu’éprouvait Machiavel pour César