Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais de ces détails plus particuliers et plus recélés qui attirent l’attention du philologue ou du géographe, du découvreur et fureteur en quoi que ce soit. Sa connaissance propre et vraiment familière (quand il n’avait pas la plume en main), c’était le champ vaste et varié de ce qu’on appelle humanitas ; il aimait à s’y promener sur les routes unies, et il était doux de l’y suivre.

S’il s’est montré épigrammatique contre l’érudition, il ne l’était pas moins contre le bel-esprit organisé. Il avait même quelque propension à le voir là où son talent poli aurait dû mieux reconnaître sa parenté. M. Daunou a toujours été très ironique (j’ai regret à le dire) contre l’Académie française. Dans son mémoire sur les Élections au scrutin, et pour en égayer apparemment l’aridité, il trouve moyen de remarquer qu’en 1672, époque si brillante du grand règne, l’Académie ne comptait parmi ses membres ni Boileau, ni La Fontaine, ni Racine, qui avait, fait Andromaque et Britannicus, ni enfin Molière, qui n’en fut jamais. Il ne perdit depuis lors aucune occasion de renouveler ce genre un peu usé de plaisanteries Dans sa notice sur Rulhière, il ne se lasse pas d’admirer que le discours de réception de cet académicien se puisse relire. Il ne voulut jamais, pour son compte, s’exposer à pareille fête. À la mort de M. de Tracy, on avait naturellement pensé à lui, et quelques journaux en avaient parlé : il en fut presque effrayé, et se hâta d’écrire une lettre de deux lignes pour démentir sèchement. On peut croire qu’il redoutait aussi cette seconde partie de l’éloge public qui consiste à s’entendre juger et raconter en face, situation très délicate en effet, et contre laquelle aucun front n’est aguerri.

Nul pourtant, ce premier moment passé, n’aurait été plus désigné que lui pour le travail du Dictionnaire ; de la lignée de Girard, Beauzée et Dumarsais, il les résumait en les étendant ; il avait, on l’a dit, la balance d’un honnête joaillier d’Amsterdam pour peser les moindres mots ; il en possédait l’exacte valeur, l’acception définitive, dans la durée des deux grands siècles, et surtout du XVIIIe, précisément ce que Nodier, qui savait tant de choses d’avant et d’après, savait le moins. Si l’on a dit de celui-ci qu’il avait de la philologie la fée et la muse, M. Daunou tenait, pour sa part, la pierre de touche de la diction et le creuset de l’analyse moderne : ajoutez-y la grammaire générale toujours présente au fond, ce qui ne nuit pas. À voir combien il était peu satisfait de la dernière édition du Dictionnaire, on comprenait tout ce qu’il aurait pu apporter d’utile aux fondemens de la nouvelle.

M. Daunou, en dépit de sa prévention peu justifiable, demeure surtout