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de Vichnou est le centre, le palais inachevé, du pechwa. La foudre a renversé l’habitation du prince comme pour mieux consacrer la ruine de l’empire dont il était le représentant ; il ne reste plus que des pans de cet édifice, qui dominait tous les points de la plaine. Du haut de la colline, le regard se déploie sur un magnifique horizon ; les deux villes, mahratte et anglaise, se montrent côte à côte, celle-ci pareille à un parc avec ses allées et ses jardins, celle-là pareille à un échiquier couvert de toutes ses pièces. Au-dessus des plantations de manguiers que le souverain avait groupées abondamment dans la campagne pour donner à sa capitale de l’ombre et de la fraîcheur, on aperçoit bien loin, au pied d’une montagne abrupte, son palais d’été. Aux angles de l’édifice à quatre faces, se dressent des clochetons carrés qui se communiquent par des escaliers et des chemins de ronde ; le rez-de-chaussée de castel, construit en bois, est entouré d’une galerie, d’un cloître extérieur, destiné à protéger les salles d’en bas contre les rayons du soleil ; puis, comme l’idée de guerre était inséparable de toute construction mahratte, la villa du prince avait pour défense un mur épais, assez haut, flanqué de quatre grosses tours désormais ruinées. On dirait même que jamais ce palais n’a été achevé. Aujourd’hui tout est silencieux et désert autour du pavillon bastionné ; il n’y a ni jeunes femmes dans les cours intérieures, ni sentinelles sur le rempart.

Dans une plaine, auprès de la colline sacrée, on aperçoit encore un grand champ-de-mars, un vaste espace marqué par une muraille ; c’est là que chaque année, à l’époque du dassarah, fête solennelle correspondant à la fin des pluies, les brahmanes par milliers s’assemblaient pour recevoir un à un, de la main des pechwas, l’aumône, le don qui consacrait l’hommage dû par les rois à la caste sacerdotale, d’après ce précepte qui commande au souverain de faire le plus de libéralités possible aux deux fois nés par excellence, à ceux qui ont reçu une nouvelle vie avec l’initiation aux mystères religieux. Il venait des brahmanes de toutes les parties du Maharashtra ; quelquefois on en comptait cinquante mille réunis dans l’enceinte, et le chef de l’état se réjouissait à la vue de tant de saints personnages qui le proclamaient grand et magnifique. Après cette pacifique cérémonie, les guerriers, à la tête de leurs bandes armées, se répandaient, dans la campagne, pillant et saccageant les villages, se ruant comme un orage à travers les vallées ; de cette façon, l’année nouvelle était inaugurée. A défaut de guerre, les chefs improvisaient un simulacre d’expédition sur le territoire de leurs voisins, et remontaient dans leurs forts jusqu’à ce que l’occasion se présentât de se mettre à la solde de quelque prince.