Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’interruption ni de crise, le M. Daunou que nous avons tous connu ; nous nous attacherons à ce qu’il devint plus manifestement avec l’âge, au pur savant et littérateur. Pendant des années, grace à la constance inaltérable de son régime et à la rigoureuse économie de ses heures, il sut mener de front trois ordres de travaux importans, dans lesquels son talent patient et sobre, arrivé à sa plénitude, trouvait des développemens appropriés, suffisamment divers et parfois brillans : 1o le Journal des Savans dont il fut, dès la renaissance (1816-1838), le rédacteur principal ou éditeur, comme on disait ; 2o la continuation de l’Histoire littéraire, dont il était une colonne, la colonne la plus ornée (1809-1838) ; 3o son Cours d’Histoire au Collège de France, professé durant onze ans (1819-1830), dont on n’avait imprimé jusqu’ici que quelques extraits et analyses, qu’on publie enfin aujourd’hui pour la première fois, et qui ne formera pas moins de seize volumes très remplis.

Sa manière de juger les ouvrages dans le Journal des Savans se rapportait en toute convenance à celle que ce journal a conservée, et que M. Daunou aurait seul retenue, quand tout le monde de nos jours l’eût abandonnée : elle consiste à se borner et presque à s’asservir à l’ouvrage qu’on examine, à l’extraire, a le suivre pas à pas, en y relevant incidemment les fautes ou les beautés, sans se permettre les excursions et les coups d’œil plus ou moins étrangers. La critique moderne, même la meilleure (témoin la Revue d’Édimbourg), a bien dévié de cette voie prudente et de ce rôle où le juge se considère avant tout comme rapporteur. Le livre qu’on examine, et dont le titre figure en tête de l’article, n’est le plus souvent aujourd’hui que le prétexte pour parler en son propre nom et produire ses vues personnelles. Ici rien de semblable ; on fait connaître, sans tarder et dès la première ligne, l’ouvrage dont on doit compte aux lecteurs ; le plan, les divisions, quelquefois le nombre de pages, y sont relatés ; peu s’en faut que la table des matières n’y passe. Voilà bien des lenteurs ; mais aussi on apprend nettement de quoi il s’agit, on est en garde contre les témérités, et une juste finesse y trouve pourtant son recours dans le détail. Ces discrets avantages ne se montrent nulle part avec autant de distinction que dans les articles de M. Daunou. Si l’on regrette au premier abord qu’il ne se permette aucune conjecture rapide, aucune considération soudaine, générale et trop élevée, on s’aperçoit bientôt que, dans son habitude et presque son affectation de terre à terre, il trouve moyen de laisser percer ce qu’il sent, de marquer ses réserves, d’insinuer ses malices couvertes, de faire parler même son silence : il atteint véritablement à la perfection en ce genre exact et très tempéré. S’il n’a en