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ses anciens élèves de Montmorency : « Après tout, c’est peut-être ce que nous pouvons avoir de mieux. » Il était maté alors et comme rallié.

Je parlerai peu, ou plutôt je voudrais peu parler, de son Essai sur la Puissance temporelle des Papes. Napoléon le lui fit demander par Fouché comme arme dans sa lutte avec le Saint-Siège ; c’était proprement une batterie historique qu’il fallait dresser contre le Vatican parallèlement au coup de main de Miollis. Henri IV, en son temps, voyant que Rome tardait à le reconnaître, fit compiler par Pithou un Recueil des déclarations, arrêts et actes historiques que des circonstances analogues avaient occasionnés sous les règnes précédens ; mais, au même instant, il ne faisait point enlever le pontife par ses gens d’armes mécréans. Pithou mit en tête du livre un avertissement en latin, où il protesta de son amour de la concorde et de sa haine du schisme : l’auteur du présent Essai en aurait-il pu dire autant avec sincérité ? On ne craindra pas de l’avouer : si son vote dans le procès de Louis XVI est le plus beau moment de la vie de Daunou, son livre sur les papes nous en paraît le moins agréable endroit. Juger l’outrage en disant qu’abstraction faite des doctrines latentes et du but, il offre un résumé substantiel, un narré pressant, du meilleur style et d’une modération très suffisante a la surface, ce serait aussi prouver de soi-même trop de complaisance ou de simplicité. Ce livre est un acte. L’auteur, cette fois, cette seule fois, fait un pamphlet. Lui, ancien oratorien et prêtre, il consent, par l’ordre et dans l’intérêt de celui qu’il appellera un tyran et qu’il abhorre, à accabler, à envelopper d’un tissu historique très équivoque, très artificieux, le vieux pontife alors persécuté, spolié, prisonnier ; il réclame contre lui les rigueurs[1] ; il termine ce livre anonyme, à fausses couleurs gallicanes, par les éloges les plus absolus du héros qu’il semble mettre au-dessus de Charlemagne[2],et dont il recevra à ce sujet diverses sortes de récompenses :

  1. « Dépouillé de tout pouvoir temporel et devenu le sujet de l’un des princes de l’Europe, le pape excommuniera-t-il son propre souverain ? Tant d’audace ou d’extravagance est peu vraisemblable. Il est vrai que les siècles passés en offrent des exemples ; mais on prendrait présent une idée plus juste d’un tel anathème : on n’y verrait qu’un libelle séditieux, qu’une provocation publique à la révolte, qu’un outrage à la majesté du prince et des lois, qu’un attentat punissable, quoique impuissant. » (Edition de 1810, page 333)
  2. Dira-t-on que les éloges ne sont pas sans quelque réserve implicite ? « Ces limites (du pouvoir spirituel), dit l’auteur en terminant, ont besoin d’être posées par une main victorieuse, capable d’en prescrire à toute ambition subalterne, et accoutumée à n’en point laisser au progrès de la civilisation, au développement des lumières, à la gloire d’un grand empire. Abolir le pouvoir terrestre des pontifes est l’un des plus vastes bienfaits que l’Europe puisse devoir à un héros. La destinée d’un nouveau fondateur de l’empire d’Occident est de réparer les erreurs de Charlemagne, de le surpasser en sagesse, et par conséquent en puissance ; de gouverner, de raffermir les états que Charles n’a su que conquérir et dominer ; d’éterniser enfin la gloire d’un auguste règne, en garantissant, par des institutions énergiques, la prospérité des règnes futurs. » Dira-t-on que ces mots : ont besoin, puisse devoir, ne sont pas positifs ; que la destinée assignée ici au héros est une sorte de futur conditionnel ; qu’il est question, chemin faisant, de sagesse, de gouverner, de garantir, et même, en finissant, d’institutions énergiques, comme pour faire contrepoids à la spoliation qu’on appuie ? Pénibles équivoques auxquels l’auteur a bien pu penser, mais qui échappaient au lecteur : Napoléon n’en demandait pas davantage. — Ce livre, au reste, était tellement une arme politique forgée ad hoc, que la troisième édition, imprimée à l’Imprimerie impériale en 1811, fut en très grande partie détruite en 1813, au moment où l’on crut enfin avoir arraché un nouveau Concordat au prisonnier de Fontainebleau. Cette édition de 1811 contenait, entre autres additions, un exposé de la conduite de la Cour de Rome depuis 1800, vrai factum d’un canoniste de l’Empire.