Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/364

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses travaux pendant l’année ; il exhortait l’illustre corps à la propagation des idées et des sentimens qui conviennent le plus aux hommes libres, et laissait échapper cette parole tant contestée : « Il n’y a point de philosophie sans patriotisme, il n’y a de génie que dans une ame républicaine ! »

Si c’est un vœu que Daunou entendait exprimer, à la bonne heure ! Si c’est un fait et un jugement, comme on aurait droit de l’attendre d’un écrivain si précis, son désir assurément ici l’abusait ; cet axiome-là n’est ni plus vrai ni plus faux que celui qu’il énonçait ailleurs, que la vérité est toujours du côté de l’analyse, et l’erreur du côté de la synthèse. Approchait-il davantage de la vérité, lorsque, dans son cours d’Etudes historiques, il disait avec plus de réserve : « À fort peu d’exceptions près, les noms honorables dans l’histoire des lettres le sont aussi dans celles des mœurs privées et publiques ; les plus grands écrivains sont à compter au nombre des meilleurs hommes de leurs siècles ? » - Mais, ce qu’il nous importait de noter, nous retrouvons dans ces élans, dans ces éclats imprévus de l’an VI, un Daunou auquel nous sommes moins accoutumés.

Quelque temps auparavant, le 10 vendémiaire an VI (1er octobre 1797), il avait prononcé, en plein Champ-de-Mars, l’oraison funèbre de Hoche. Ce jour-là, par un beau soleil d’automne, le Directoire en grand costume, Révellière-Lépeaux en tête, sortit à pied de l’École militaire, précédé de tous les ministres, grands fonctionnaires, et des principaux corps de l’état ; chaque membre du cortége tenait à la main une branche de laurier ou de chêne. Puis, sur l’autel de la patrie, qu’entouraient des groupes de peupliers et des candélabres supportant des cassolettes fumantes d’encens, aux pieds de la statue de la liberté, le Directoire ayant pris séance, Révellière-Lépeaux célébra le héros dans un discours plein de bons sentimens et de déclamations théo-philantropiques. Lorsqu’il eut fini au milieu des sanglots, et que, comme intermède, quarante jeunes élèves du Conservatoire, vêtues de blanc, les cheveux ornés de bandelettes et portant des écharpes de crêpe eurent chanté, autour du mausolée, une strophe de l’hymne de Chénier mise en musique par Cherubini ; après que ces jeunes élèves, deux à deux, d’une nain tremblante et en détournant leurs regards où se peignaient l’attendrissement et ici douleur, furent venues déposer leurs branches de laurier aux pieds de l’effigie du mort[1] ; en ce moment solennel,

  1. Le procès-verbal officiel ajoute à cet endroit : « Une d’elles, succombant à l’oppression du sentiment, s’évanouit et tombe dans les bras de ses compagnes. »