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lui trouverait difficilement ce je ne sais d’entreprenant et d’insinuant qui est aisément l’apanage, dit-on, des enfans issus de la Guyenne ; lui, il se borna à la douce malice du sage, à la finesse demi-souriante. Mais son accent, travaillé peut-être en vue de l’enseignement public et des nécessités oratoires, était certainement plus marqué, plus cadencé, que ne l’est d’ordinaire celui du nord de la France, et semblait attester comme un vestige de l’origine paternelle. Il tenait d’ailleurs à sa vraie patrie et au vieux fonds boulonais par les qualités sagaces, avisées, modérées, lucides et circonscrites à la fois, et, dans l’expression si distinguée que ces qualités prirent en sa personne, on aurait pu reconnaître encore, plus qu’il n’aurait cru, quelques : formes de l’esprit natal, l’air de famille d’un pays qui n’avait pas eu jusqu’à lui son représentant littéraire, où Voisenon, par bonheur, ne fit que passer, où Charron, hôte plus digne, fut convié une fois où Le Sage est venu mourir[1].

Dans les dernières années, M. Daunou avait deux regrets qui seront partagés inégalement, mais qu’il semblait mettre sur la même ligne : il regrettait de n’avoir pas écrit l’histoire de Boulogne-sur-Mer et celle de l’Oratoire. C’étaient ses deux patries ; il les avait quittées toutes deux de bonne heure et pour n’y plus revenir, mais elles lui restaient gravées toujours.

Après d’excellentes études au collége des oratoriens de Boulogne, le jeune Daunou se décida à entrer dans la docte congrégation, n’étant âgé que de seize ans et quelques mois. Son père s’opposait à ce qu’il fit son droit. Ses goûts de lettré l’éloignaient de la chirurgie ; il prit le parti de ce demi-cloître et ferma les yeux sur les inconvéniens de l’avenir, séduit sans doute par une perspective de retraite et d’étude au sein de vastes bibliothèques, par l’idée de ne pas changer de maîtres et de guides, lui timide et qui craignait avant tout le commerce des hommes.

Il était certainement pieux lorsqu’il entra dans l’Oratoire, il était croyant du moins ; il ne l’était plus quand il en sortit. A quel moment précis ses convictions religieuses reçurent-elles modification atteinte ? A lire quelques-uns des écrits qu’il composa dans les premières

  1. Dans un article du Journal encyclopédique (octobre 1788), M. Daunou n’a pas laissé de railler l’ancien, le très ancien Boulogne sur le peu de littérature du cru : sous le pseudonyme de James Humorist, il rend compte des singulières inscriptions qu’on avait mises à Wimille sur la tombe des infortunés aéronautes Pilâtre de Rosier et Romain, et il en prend occasion de décocher son trait malin à ses compatriotes d’avant 89. Tout cela a bien changé.