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supprimer l’invention en un mot, c’est un autre excès dont il eût fallu également se garder. La péripétie finale se dénoue, il est vrai, d’une façon imprévue et fort émouvante ; a part l’intérêt qu’elle soulève, c’est là précisément ce dont on peut se plaindre, que rien ne l’annonce et ne la fasse entrevoir. Il ne convient point de marcher ainsi l’aventure ; il ne convient point de remettre ainsi au hasard le soin de trancher la complication. Que serait-il donc arrive si, au moment où l’on comprend qu’il en faut finir, Munio ne s’allait mettre en tête que sa fille est coupable, et ne la sacrifiait à l’honneur de sa maison ? Parlons franchement, le quatrième acte forme à lui seul une pièce entière, et cette pièce n’a de commun que les noms des personnages avec celle dont vous avez jusque-là curieusement suivi les incidens. Ce n’est pas tout : dispensés d’agir, renfermés dans les limites étroites d’une situation un peu trop rigoureusement définie, ces personnages semblent avoir à cœur de se dédommager par des tirades et des monologues interminables ; nous devons ajouter cependant que le poète leur a fourni la meilleure des excuses en leur prêtant les idées les plus généreuses, fièrement et ardemment exprimées. Puisque nous sommes ramené à signaler une fois encore la partie remarquable de l’œuvre, c’est par là que nous voulons terminer : pourquoi insister outre mesure sur des défauts que l’expérience atténuera, si elle ne les fait disparaître quand on a ce que l’expérience n’a jamais donné à personne, la passion vraie, la pensée vigoureuse, et, par intervalles déjà, le style ferme et consistant ?

Aussi, pour découvrir une ovation comparable à celle que le public de la Cruz a décernée au poète, dans la soirée bienheureuse du 13 juin 1844, serait-on obligé de remonter aux plus brillantes époques de l’ancien théâtre espagnol. Quand la toile fut tombée sur les derniers vers du quatrième acte, la foule éperdue et ravie demanda sur-le-champ à saluer l’auteur de ses acclamations ; on ne sait pas trop à quels excès se serait porté son enthousiasme impatient, si, d’un pas timide et le regard ébloui, doña Gertrudis ne fût venue en personne cueillir au hasard une couronne parmi celles dont la scène se trouvait littéralement jonchée. La jeune señorita était entourée, ou pour mieux dire assistée de ses principaux interprètes, — d’un côté, l’élégant don Julian Roméa et don Carlos Latorre, le Kean de l’Espagne ; de l’autre, la gracieuse et pourtant si énergique señora Tablarès, les sœurs Lamadrid, ces deux artistes de mérite égal et de facultés diverses : groupe célèbre où se faisait regretter l’absence de la señora Mathilde Diez. Puis, quand tout fut décidément fini, le public entier se posta aux