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À partir de ce moment, le caractère de don Alfonso Munio, considérablement effacé jusqu’ici, se montre dans toute sa noblesse ; bien loin de favoriser un amour qui veut placer sa fille sur un trône, il le combat de toutes ses forces ; et en cela, il est dignement secondé par Fronilde : mille fois la mort, mille fois le cloître plutôt que d’être pour la Castille une cause d’abaissement et de ruine ! De son côté, l’infant don Sancho ne songe plus qu’à se faire tuer à la première rencontre qui aura lieu entre les chrétiens et les Maures ; son désespoir est si violent, il se manifeste avec une si sombre énergie, que sa mère ne se sent plus le courage de lui résister. Don Sancho épousera Fronilde ; tout est rompu avec Navarre ; encore quelques jours, et la guerre impie, la guerre entre chrétiens, entre frères, aura de nouveau éclaté. À cette résolution de la reine Berenguèle, la toile tombe pour la troisième fois ; certes, il n’y a là ni péripéties, ni ce qu’on appelle vulgairement des coups de théâtre ; et cependant nous ne croyons pas qu’en Espagne, jamais acte se soit terminé d’une plus émouvante façon. On entend déjà, pour ainsi dire, les renaissantes clameurs des collisions civiles ; sous les lances chrétiennes, des flots de sang chrétien vont couler. Ce n’est pas là, néanmoins, ce qui remue le cœur et l’étreint au moment où l’acte s’achève. On frémit comme à l’approche d’une catastrophe inévitable ; mais ce n’est point pour Castille et Navarre qu’on la redoute ; on comprend bien que dans cette querelle, ce n’est pas la cause des peuples qui doit périr, non plus que celle du christianisme. C’est pour l’infant don Sancho que l’on tremble, pour sa vie, pour son amour, pour sa douce et belle Fronilde. Dès l’instant où le péril de son pays ne l’a point décidé à sacrifier sa passion, don Sancho est condamné ; il est marqué au front du sceau fatal qui appelle la malédiction et la mort. La vieille Espagne est une terre de dévouement et d’abnégation : on y pardonne à la cruauté, à la violence ; on y a excusé don Pèdre de Castille, on y cherche de nos jours à réhabiliter Philippe II ; mais l’égoïsme ne s’y peut produire qu’il ne soit tout aussitôt voué à l’exécration et au châtiment.

Et en effet, au quatrième acte, le châtiment arrive prompt comme la foudre ; vous pressentez à peine le dénouement, qu’il est survenu déjà. Pour protéger sa fille contre l’amour du prince, don Alfonso l’enlève à la reine ; il sort avec elle de Tolède ; il l’amène sous sa tente, et la confie à la garde de ses chevaliers. Cependant, un jour qu’il est allé passer la revue de ses hommes d’armes, le jeune infant, tout entier à la joie d’avoir décidé la reine à lui donner Fronilde, pénètre chez le vieux comte, annonce brusquement à sa fille que les chevaliers