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de ces drames où éclate pleinement la haine du Maure, et l’on peut à coup sûr choisir Alfonso Munio, car dans aucune autre pièce, pas même dans celles du XVIe siècle, cette passion ne se retrouve plus franchement exprimée. A vrai dire, c’est la haine du Maure qui défraie tout le premier acte ; c’est elle qui donne un caractère aux coutumes de la cour de la reine Berenguèle ; elle est partout, dans tous les vers, dans toutes les paroles, dans l’amour des jeunes filles qui se racontent avec orgueil les prouesses de leurs fiancés ; dans leurs craintes et dans leurs tristesses quand elles songent aux champs de bataille que le sang de leur famille a rougis déjà, et à ceux qu’il doit rougir encore ; dans les cris de joie qui emplissent le palais, se communiquant bientôt à la ville et, de proche en proche, aux poblaciones les plus écartées, quand la vedette au cor d’ivoire annonce le retour de l’infant, et que l’on aperçoit enfin sa bannière, dont la poussière avait caché d’abord aux plus perçans regards les tours crénelées et les lions rugissans.

Au second acte, le drame se poursuit plus simplement et plus vivement encore ; nous sommes toujours au palais de la reine. Heureux de retrouver Fronilde, pour qui Munio avait cherché un asile dans un monastère perdu au fond des Asturies, mais que doña Berenguela avait retenue auprès d’elle, l’infant don Sancho ne contient plus son amour ; il l’exprime avec une véhémence dont un public français se montrerait un peu étonné peut-être, mais qu’un public espagnol accepte gravement comme la chose la plus naturelle du monde. Dans le Cid, Corneille n’a pris de l’amour espagnol que la sincérité profonde et l’intrépide persévérance. Les chastes transports de Fronilde répondant à la passion du prince, Corneille les eût infailliblement réprouvés ; et, en effet, ils ne conviennent point au grand cœur de sa fière héroïne qui s’irrite de son amour comme d’une faiblesse, et ne se pardonne point qu’on ait pu le deviner. Il faut avoir vécu en Espagne pour bien concevoir et pour bien aimer la passion qui éclate chez Lope et chez Calderon, la passion fougueuse dont Mathilde Diez est aujourd’hui une si énergique interprète, Mathilde Diez, la meilleure tragédienne qui se soit produite en Espagne. A l’heure même où nous écrivons, Mathilde Diez est à Paris ; elle y est venue étudier nos principaux artistes et, avant tous les autres, Mlle Rachel ; elle aura peine à comprendre, nous le craignons, que, dans leurs fureurs jalouses, Hermione et Phèdre se possèdent assez pour ne point déchirer la pourpre sur les épaules du volage roi d’Épire ou du fils indifférent de Thésée.

S’il faut dire toute notre pensée, nous croyons que dans Alfonso Munio,