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vient d’y envoyer ; et quoique le rejet du traité puisse procurer un moment de relâche à lord Aberdeen, on comprend cependant que la guerre puisse sortir de cette affaire. D’ailleurs il n’y a pas seulement une question d’humanité en jeu. Que l’esclavage renaisse au Mexique et s’étende d’une mer à l’autre, l’Angleterre, bien qu’avec regret, en prendrait son parti, si ses intérêts commerciaux n’en souffraient pas ; mais nous avons vu que l’annexation du Texas aurait pour conséquence l’envahissement successif de tout le Mexique par les Anglo-Américains. Or, il est peu de contrées avec lesquelles l’Angleterre fasse un commerce aussi lucratif ; elle est seule en possession d’exploiter ce riche et malheureux pays. Les Français en sont maintenant écartés par la haine nationale ; les Anglo-Américains en sont aussi presque entièrement exclus, et cela est pour eux un sujet de jalousie extrême. L’Angleterre se laissera-t-elle ravir un marché si avantageux ? Son intérêt nous est un sûr garant du contraire ; elle le défendrait contre tout droit et toute justice, à plus forte raison quand elle a le bonheur de trouver une fois sa cause d’accord avec celle de l’humanité.

Un autre intérêt est compromis par l’annexation. Quand la Revue d’Édimbourg faisait un si magnifique étalage du commerce que l’on pourrait faire avec le Texas, il est une considération sur laquelle elle se gardait bien d’appeler l’attention, mais à laquelle le gouvernement anglais avait sans doute songé. Supposez que le Texas devienne une république indépendante, animée d’un esprit de jalousie et d’hostilité contre les États-Unis, comme le disait la Revue d’Édimbourg, qui recommande d’y envoyer des colons, anglais ; supposez d’un autre côté que l’Angleterre transporte dans l’Orégon une partie de la population du Canada, et l’étende le long des montagnes Rocheuses jusqu’au Texas voilà le développement des États-Unis à jamais arrêté, voilà l’approche de l’Océan Pacifique à jamais interdite à l’Union. Les Anglais se trouveraient, à bien moins de frais et avec moins de risques, avoir réalisé contre les Américains indépendans ce que les officiers français tentèrent inutilement le long des bords du Mississipi contre les colonies anglo-américaines. C’est là qu’est la véritable importance de la question de l’Orégon pour les États-Unis, car de ce côté l’Union n’a pas encore à craindre de voir l’espace lui manquer ; l’Iowa et le Wisconsin n’ont que quelques milliers d’habitans ; le Michigan lui-même est loin d’être peuplé, et de ses limites jusqu’au Missouri il y a place pour plusieurs millions d’hommes. L’Angleterre ferait les plus grandes concessions de territoire pour arriver à une limitation ; mais ce que les États-Unis redoutent surtout, c’est la fixation d’une frontière : une fois que la ligne de limitation sera tracée, quand même elle serait