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pût prendre des mesures énergiques. L’année dernière encore, sur le bruit qui courut que l’Angleterre offrait à l’Espagne de lui acheter Cuba, un député du sud, M. Ingersoll, s’écria que les États-Unis déclareraient la guerre à l’Angleterre plutôt que de permettre ce marché, et il fut couvert d’unanimes applaudissemens. Les états du sud, qui n’ont pas permis que l’on reconnût l’indépendance de Haïti, ne souffriront jamais que l’esclavage soit aboli dans l’île de Cuba, parce que cette île est l’asile de leurs nombreux négriers, qu’elle sert d’entrepôt pour les quinze ou vingt mille nègres qu’ils tirent chaque année d’Afrique, et surtout parce que là sont leurs postes avancés. L’Angleterre le sait bien ; avec la sagacité de la haine, n’osant encore attaquer l’esclavage dans l’Union, elle agite sans relâche l’île de Cuba, et depuis dix ans y entretient, par ses intrigues et son argent, une extrême fermentation au moyen des nègres libres qui vont et viennent de la Jamaïque à Cuba.

L’antagonisme des deux politiques à l’égard de la race noire mettra tôt ou tard l’Angleterre aux prises avec les États-Unis, et, sans les embarras actuels de la première de ces puissances, la guerre pourrait éclater à propos du Texas. L’Angleterre a vu d’abord avec chagrin la révolte du Texas ; elle a espéré long-temps que le Mexique rétablirait son autorité, sur cette province, et ce n’est qu’en 1840 qu’elle s’est déterminée à reconnaître son indépendance. Une fois bien certaine que le Mexique ne pouvait reprendre le Texas, elle ne se montra pas difficile sur les conditions de la reconnaissance, trop heureuse de mettre un obstacle de plus aux projets des États-Unis, impatiens de s’incorporer le nouveau peuple. Lord Palmerston attachait une grande importance à cette mesure, et, pour s’en convaincre, il suffit de lire l’article qu’il fit publier à ce sujet dans l’organe le plus considérable du parti whig, dans la Revue d’Édimbourg. Cet article est écrit d’un bout à l’autre sur le ton le plus emphatique et le plus pompeux On y présente le Texas comme un marché précieux pour les manufactures anglaises, comme une garantie contre la dépendance où se trouve l’Angleterre vis-à-vis du commerce de l’Union. Il est dur de voir de si belles espérances détruites tout à coup. Aussi, à la nouvelle du traité d’annexation le Morning-Post n’a pu retenir un cri d’alarme : « Nos relations extérieures, a-t-il dit, prennent l’aspect le plus effrayant. » Le ministère anglais, interpellé dans le parlement, a refusé de s’expliquer, sur ce motif que le traité avait besoin de l’approbation du sénat ; en réalité il voulait gagner du temps et n’osait prendre un parti. La presse anglaise été moins prudente : depuis deux mois, elle se