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vers ces états, parce que le blanc ne travaille pas là où le travail est la marque de la servitude, et que les émigrans ont presque tous besoin pour vivre d’un salaire journalier. La population du nord a dépassé rapidement celle du midi. Le nord s’est livré au commerce et à la navigation ; il est devenu l’intermédiaire commercial de tous les peuples sans marine ; enfin, surtout depuis la guerre de 1812, il s’est fait fabricant et manufacturier.

Les états du sud sont encore ce qu’ils étaient au temps de la révolution. La nature leur ayant refusé des ports sur une côte aride et dangereuse, exposée à tous les vents, ils n’ont pu se livrer au commerce, et se sont tournés de plus en plus vers l’agriculture. La culture du tabac, du coton, de la canne, qui demande des soins perpétuels et minutieux, a rendu chez eux le travail des esclaves plus avantageux qu’il ne l’est au nord ; ce travail est d’ailleurs consacré dans ces états par de lingues habitudes. Les Américains du sud s’y sont attachés avec passion, et de là une irritation extrême contre les états du nord, qui, en abolissant chez eux l’esclavage, l’ont indirectement attaqué chez les autres, et qui, par le contact des nègres libres avec les nègres esclaves, ont créé aux hommes du sud un danger immense et de tous les jours. À ce motif d’inimitié est venue se joindre la vanité blessée. Les états du nord, grandissant tous les jours en population et en richesse, n’ont pas tardé à dépasser les états du sud et à leur enlever une supériorité à laquelle ils étaient depuis long-temps habitués ; ceux-ci se sont crus dépouillés par leurs rivaux. Quoique tous les calculs montrent que l’agrandissement des états du sud est hors de proportion avec ce qui se passe en Europe, ceux-ci, ne considérant que le progrès relatif, accusent le nord de s’enrichir à leurs dépens, parce qu’il grandit encore plus vite. L’exploitation et la ruine du sud par le nord, voilà le thème perpétuel de leurs orateurs.

Le développement, de l’industrie manufacturière au nord est venu créer une nouvelle cause de séparation et l’une des plus puissantes. Les États-Unis ont été long-temps dans la dépendance de l’Europe pour tous les objets manufacturés, et surtout pour les étoffes ; ils tiraient de la France les étoffes de luxe, les soieries, les velours, et de l’Angleterre les étoffes communes de laine et de coton, en sorte que les planteurs du sud vendaient aux Anglais le coton avec lequel ceux-ci fabriquaient les étoffes qu’allait chercher en Angleterre le commerçant du nord. Mais, depuis la guerre de 1812, les gens du nord, instruits par les émigrans, se sont mis à vouloir fabriquer eux-mêmes ce qu’ils allaient chercher si loin. Ils y ont assez bien réussi ; seulement