Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Du reste, Scarron était tout-à-fait de notre avis sur les parodies, et la manière dont il s’en exprime dans une épître à M. Deslandes-Payen, à qui il dédie le cinquième livre du Virgile travesti, prouve une modestie qui va jusqu’à l’injustice :

« Je suis prêt de signer devant qui l’on voudra que tout le papier que j’emploie à écrire est autant de papier gâté, et qu’on aurait droit de me demander, ainsi qu’à l’Arioste, où je prends tant de c… Tous ces travestissemens de livres, et mon Virgile tout le premier, ne sont autre chose que des c…, et c’est un mauvais augure pour ces compilateurs de mots de gueule ; tant ceux qui se sont jetés sur Virgile que sur moi comme un pauvre chien qui ronge son os, que les autres qui s’adonnent à ce genre d’écrire comme au plus aisé ; c’est, dis-je, un très mauvais augure pour ces très brûlables burlesques que cette année, qui en a été fertile, et peut-être autant incommodée que de hannetons, ne l’ait pas été en bled. Peut-être que les plus beaux esprits, qui sont gagnés pour tenir notre langue saine et nette, y mettront bon ordre, et que la punition du premier mauvais plaisant qui sera convaincu d’être burlesque relaps, et comme tel condamné à travailler le reste de sa vie pour le Pont-Neuf, dissipera le fâcheux orage de burlesque qui menace l’empire d’Apollon. Pour moi, je suis toujours prêt d’abjurer un style qui a gâté tout le monde, et sans le commandement exprès d’une personne de condition qui a toute sorte de pouvoir sur moi, je laisserais le Virgile à ceux qui en ont tant d’envie, et me tiendrais à mon infructueuse charge de malade, qui n’est que trop capable d’exercer un homme entier. »

Il résulte de cette épître que les contrefacteurs et les copistes ne manquaient pas à Scarron, et le travestissement du Virgile lui était vivement disputé. Le mode de publication qu’il avait adopté favorisait les fraudes des continuateurs. Il devait d’abord faire paraître un livre chaque mois ; toutefois, soit que les souffrances l’en empêchassent, soit qu’il fût ennuyé et rebuté de cette besogne, ce qui est plus vraisemblable, il ne mit pas beaucoup d’exactitude à tenir son engagement, et de longs intervalles séparèrent les apparitions des diverses parties de son poème. Certes, il faut toute la verve de Scarron pour soutenir une si longue plaisanterie ; il faut son habileté souveraine à manier le vers de huit pieds, sa facilité à trouver des rimes imprévues, des tours piquans, des suspensions, des enjambemens hardis, des coupes bizarres, enfin tout ce qui peut varier une œuvre d’une telle haleine. Souvent, à travers mille incongruités plus étranges les unes que les autres, se trouvent des morceaux vraiment bien traités, et