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portes et les trumeaux. Tel poème est bleu, tel autre est vert ; tout y est modelé, comme dans les grisailles, par l’ombre et le clair ; dans aucun ne se marient harmonieusement les teintes variées de la nature. Nous ne reviendrons pas faire ici, à propos de Scarron, la théorie du grotesque, si éloquemment exposée dans une préface célèbre. Depuis Malherbe, la langue française a été prise d’un accès de pruderie et de préciosité dans les idées et dans les termes vraiment extraordinaire. Tout détail était proscrit comme familier, tout vocable usuel comme bas ou prosaïque. L’on en était venu à n’écrire qu’avec cinq ou six cents mots, et la langue littéraire était, au milieu de l’idiome général, comme un dialecte abstrait à l’usage des savans. A côté de cette poésie si noble et si dédaigneuse s’établit un genre complètement opposé, mais tout aussi faux assurément, le burlesque, qui s’obstinait à ne voir les choses que par leur aspect difforme et grimaçant, à rechercher la trivialité, à ne se servir que des termes populaires ou ridicules. C’est l’excès inverse, et voilà tout. Nous admettons parfaitement la bouffonnerie, l’invention des détails comiques, la gaieté du style, la réjouissante bizarrerie des mots, les rimes imprévues et baroques, les plus folles imaginations de tous genres ; mais nous avouons ne rien comprendre à la parodie, au travestissement. Le Virgile travesti, un des principaux ouvrages de Scarron et celui qui a fondé sa réputation, est à coup sûr un de ceux qui nous plaisent le moins, bien qu’il soit semé de mots plaisans et de vers très drôlement tournés. Après tout, qu’est-ce que cela signifie ? Mettre à la place d’un héros une épaisse figure bourgeoise, à la place d’une belle princesse une grosse maritorne, et les faire parler en style des halles, n’a rien en soi-même de fort récréatif. Il n’est pas de chef-d’œuvre dont on ne puisse, par ce procédé, faire aisément la chose la plus plate du monde. Nous concevons la parodie dans le sens critique, c’est-à-dire au moyen d’une certaine exagération humoristique des défauts de l’œuvre qu’on travestit, qui en fait ressortir le ridicule ou le danger, comme le Don Quijote, quand il parle des Amadis de Gaule, des Galaor, des Agesilan de Colchos, des Lancelot du Lac, des Esplandian et des autres romans de chevalerie. Nous avons vu la parodie de toutes les pièces représentées avec succès depuis une dizaine d’années, et bien qu’il y ait au fond de l’homme le moins envieux du monde un petit sentiment de malveillance qui lui fasse écouter avec une certaine satisfaction des plaisanteries sur une tragédie ou sur un drame en vogue, nous devons avouer n’y avoir jamais pris le moindre divertissement.