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jusqu’à l’âge de vingt-sept ans assez pour avoir bu souvent à l’allemande ! » Le Typhon renferme un passage où le poète parle, du commencement de son mal, qui le prit dans le temps que la reine accoucha de Louis XIV. Voici l’endroit :

Je suis persécuté dès-lors
Que du très adorable corps
De notre reine, que tant j’aime,
Sortit Louis quatorzième ;
Loui surnommé Dieu-Donné,
Pour le bien de la France né.


Ce prince naquit en 1638. Scarron avait donc à peu près vingt-huit ans lorsqu’il perdit la santé et gagna son talent.

Ce fut quelque temps après son retour de Rome qu’il ressentit les premières atteintes des douleurs étranges dont il souffrit sans relâche jusqu’à sa mort. La cause de cette maladie n’est pas bien claire. Suivant un récit probablement apocryphe, Scarron aurait eu pendant le carnaval l’idée de se déguiser en oiseau. Pour remplir ce but, il s’était préalablement mis tout nu et frotté le corps de miel ; après quoi il avait ouvert un lit de plume et s’était roulé dedans de manière à ce que le duvet s’attachât à sa peau et lui donnât l’apparence d’un véritable volatile. Emplumé de la sorte, il fit plusieurs visites dans des maisons où la plaisanterie fut trouvée de bon goût et des plus réjouissantes ; mais, la chaleur ayant fait fondre le miel, les plumes se détachèrent et trahirent la nudité de Scarron, au grand scandale de la populace, qui se mit à le poursuivre. Effrayé des clameurs, il prit la fuite et se cacha dans un marais, où il s’enfonça jusqu’au menton. La froideur de l’eau le saisit tellement, qu’il fut pris de rhumatismes qui lui tordirent les membres et le rendirent impotent et perclus. Des contemporains moins bénévoles, tels que Tallemant des Réaux et Cyrano de Bergerac, attribuent cette maladie à une autre cause que rend tout-à-fait probable la vie quelque peu licencieuse que menait le jeune abbé. En ce temps-là, les remèdes étaient pires que le mal, et, si quelquefois on guérissait de l’un, on ne guérissait pas des autres. Il est à présumer toutefois que Scarron ne fut pas tout d’abord aussi infirme qu’il le devint par la suite. Les biographes bienveillans se bornent à dire qu’une lymphe acre se jeta sur ses nerfs et le réduisit à un état de souffrances continuelles. Aussi l’épitaphe que le pauvre diable se composa lui-même, et dans laquelle on retrouve la pensée de l’inscription gravée sur la tombe de Trivulce : Hic quiescit qui numquam quievit, lace, est-elle plus véridique que ne le sont habituellement ces sortes de poésies :