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Rien n’est plus commun à Willenhall qu’une fracture ou qu’un membre démis. Parmi les adultes, un sur trois contracte des hernies ; les enfans en sont fréquemment affligés dès leur naissance. Enfin le corps se déforme à force de garder la même position ; la moitié des adultes ont la taille tournée ou le dos voûté. Même à Wolverhampton, l’on distingue dans la foule un fabricant de Willenhall. La peinture que l’antiquité nous a laissée du doyen des forgerons a cessé d’être une fable ; tout serrurier de Willenhall est un Vulcain. Voici les accessoires du portrait :


« Leur visage, dit M. Horne, est hagard, leur personne sale, leurs membres grêles et rachitiques. On croirait que leur peau a été séchée à la fumée et racornie. Les jointures sont saillantes et comme nouées, la main droite a une raideur particulière, il semble qu’on l’ait tordue. Le genou gauche se projette en avant comme un nœud dans un arbre ; le genou droit rentre en dedans, et la cheville du pied a une égale inclinaison. La lèvre inférieure est pendante, ce qui indique le découragement et l’absence de la pensée ; l’œil, quand il n’est pas illuminé par l’ivresse, est terne, abattu et sans regard. Les jeunes gens ont souvent la face bouffie et comme soufflée par les liqueurs spiritueuses ; dans l’âge mûr ou dans la vieillesse, les traits sont généralement durs, secs, anguleux, inflexibles, comme si, dans l’incessante contemplation des ressorts intérieurs de la serrure, la physionomie avait pris l’empreinte de ce travail. »


Dans l’espèce humaine comme parmi les animaux, les races s’améliorent par le croisement. À Willenhall, les vices de conformation finissent par devenir héréditaires ; les habitans ne se marient qu’entre eux. M. Horne affirme que, si un jeune homme étranger à la ville avait l’audace de rechercher, une fille de Willenhall, les hommes se lèveraient en masse, le poursuivraient et le tueraient sans merci. Quels sont donc les trésors que ces pauvres gens gardent avec une jalousie qui touche à la férocité ? Ce sont des compagnes comme il les leur faut dans leur misère et dans leur isolement. La femme de Willenhall supporte les privations avec un courage qui ne connaît pas la plainte et qui ne se dément jamais. Sobre et chaste, avec une éducation meilleure, elle relèverait certainement le ménage de sa dégradation. Dans cette hutte délabrée et nue que la famille habite, elle fait régner l’ordre et la propreté. Écoutons encore ici M. Horne.


« J’entrai sans être attendu. Il n’y avait pas dans la salle basse d’autre mobilier qu’une planche brisée qui servait de table, et une pièce de bois supportée par des piquets qui servait de siége. La femme était affamée, elle pleurait de faim ; ses vêtemens étaient en lambeaux, et pourtant elle tenait