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importance, et ceci est trop évident pour qu’il soit besoin de le démontrer.

Si l’Espagne avait conservé quelque chose de son génie primitif, si l’anarchie qui la dévore n’avait arrêté chez elle ce mouvement d’expansion qui fit sa gloire en d’autres temps, elle aurait à remplir au Maroc une œuvre analogue à celle que nous exécutons si laborieusement en Algérie. Dans cette dissolution universelle du monde musulman, qui frappe aujourd’hui tous les yeux, sa part et sa mission sont indiquées, et la force des chose l’amènera à s’y dévouer, lorsqu’elle sera rentrée au nombre des nations régulièrement constituées, et dès qu’elle aura repris possession de son avenir. Quant à la France, le Maroc ne peut l’intéresser que par rapport à la sécurité de ses possessions d’Algérie : il lui importe d’obtenir des gages politiques beaucoup plus que de faire des conquêtes ; c’est ici où la difficulté se montre tout entière, puisqu’il est à peu près impossible d’obtenir des gages vraiment sérieux d’un gouvernement menacé lui-même dans sa propre existence. Les pouvoirs affaiblis sont toujours ceux avec lesquels il est le plus difficile de traiter.

Le pays a applaudi à la nomination du jeune amiral chargé du commandement de la flotte qui en ce moment même menacé les ports du Maroc. Nous nous croyons en mesure d’affirmer que ce n’est pas au cabinet que reviennent l’initiative et l’honneur de cette nomination, peu approuvée au-delà de la Manche. Le ministère songeait à confier cette mission au contre-amiral Parseval-Deschênes, et ce ne fut pas sans quelque étonnement qu’on apprit qu’une autre désignation avait été faite. On se résigna à en féliciter le jeune prince, qui est parti fort au courant des faits, et dégagé de toute reconnaissance envers le pouvoir responsable. Le jeune amiral n’a du reste que des attributions purement militaires ; il devra agir sous la direction du consul-général de France à Tanger, et l’on comprend que M. Denion ait pu recevoir du département des affaires étrangères des instructions qu’il n’eût peut-être pas été aussi facile de donner directement à M. le prince de Joinville. Ces instructions paraissent, d’après la déclaration de sir Robert Peel, avoir été communiquées textuellement à lord Cowley. Ceci est un procédé tout nouveau qui contraste avec le refus énergique que fit en mai 1830 M. de Polignac lui- même d’exposer au gouvernement anglais les vues ultérieures de la France sur l’Algérie. Insultée par le dey Hussein, elle déclarait vouloir user du droit réservé à toute nation indépendante de venger son injuré et de prendre ses mesures pour l’avenir, selon qu’elle le jugerait à propos. Nous ne connaissons aucun traité qui place les états du Maroc sous la garantie de l’Angleterre, et qui autorise Muley-Abderraman à invoquer, pour se dérober aux suites naturelles de la guerre, une sorte de casus fœderis.

Cette affaire du Maroc est venue révéler une fois de plus l’urgence d’une association intime d’intérêts et de vues avec l’Espagne. De grands évènemens semblent se préparer dans ce pays, et le départ pour Barcelone de MM. Mon, Pidal et Armero a dû préoccuper vivement l’attention publique.