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bras un sabre rouillé. A chaque instant, il oublie qu’il est en train d’écrire un conte ou quelque chose d’approchant, et il se rue dans la polémique tête baissée ; charmante habitude qui dénote le parfait conteur ! Que M. Veuillot s’en tienne aux premiers-Paris alors ; et là, qu’il frappe d’estoc et de taille, selon son humeur : l’art n’aura rien à y voir ; mais on pourra lui reprocher encore de faire de sa foi (dont Dieu nous garde de douter) un peu trop parade Est-ce que le Maître recommande de prier dans les carrefours ? — Cela dit, et bien que M. Veuillot doive se moquer de nous, pauvres gens qui regardons à son style, nous osons lui déclarer que de ses Nattes le style est encore ce qui vaut le mieux.

Vive la métempsychose ! Tous les romans-feuilletons qui prennent en ce moment leurs ébats au rez-de-chaussée des journaux passeront dans le corps de l’in-octavo élégant et commode, comme les nouvelles de M. de Beauvoir et celles de M. Veuillot. Après les avoir lus à petites doses, vous pourrez les lire tout d’une haleine, ce qui est une habile combinaison de gourmet. Il est douteux cependant que le gourmet songe à se donner cette jouissance délicate avec Modeste Mignon, la petite pièce qui, selon M. de Balzac, devait faire attendre la grande et qui se fait singulièrement attendre elle-même ; le lever du rideau, qui dure depuis trois mois et menace de durer long-temps encore, tant M. de Balzac a la science des proportions ! Après tout, ce n’est qu’une affaire de patience, et le lecteur de M. de Balzac ne se trouve pas dans une position plus fâcheuse que le voyageur qu’on avait promis de transporter dans un convoi à grande vitesse, et qui est cahoté au pas dans un chemin montant, malaisé, sablonneux, surtout sablonneux. — La scène se passe au Havre, au Havre-de-Grace du chevalier Desgrieux ; croyez cela ! Au vrai, la scène se passe dans un pays fabuleux où les jeunes filles du nom de Modeste, élevées au sein de la famille, écrivent à des hommes qu’elles n’ont jamais vus les plus insignes folies qui puissent traverser le cerveau d’un poète malade, où les aveugles voient clair, où les bossus sont des génies bienfaisans qui comprennent et devinent tout, car ce sont des anges, et leur bosse est peut-être l’étui de leurs ailes ; où les négocians qui se ruinent n’ont qu’à s’absenter pendant trois ou quatre années pour revenir avec d’immenses trésors sur un bâtiment qui porte leur nom. Reconnaissez-vous le Havre ? Si vous ne le reconnaissez pas après de telles inventions, vous le reconnaîtriez moins encore après avoir lu les lettres de Mlle Mignon : vous vous croiriez plutôt à un hôtel de Rambouillet de petites bourgeoises. Mlle Modeste dépasse en afféterie ridicule de langage, en patois inintelligible, les deux Jeunes Mariées, qui semblaient pourtant le chef-d’œuvre du genre.

Jeanne est dans les limbes à l’heure qu’il, est. Morte en feuilleton depuis une quinzaine, elle n’a pas encore eu le temps de ressusciter en volume, et nous ne voulons dire qu’un seul mot à son ombre plaintive errant dans les régions crépusculaires Malgré un prologue charmant et des parties distinguées qui rappellent l’ancien pinceau, malgré deux caractères d’hommes habilement tracés, la donnée du roman, nous sommes fâché de le dire, est entièrement