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Si les historiens voyaient les choses du même œil que les poètes à la façon de M. Pommier, et s’ils jugeaient le passé avec ce calme judicieux dont l’auteur des Colères se sert à l’égard du présent, ce serait un jolie caricature que l’histoire. Les ouvrages historiques dont nous avons à parler sont heureusement le contre-pied de ce système. On a dit mille fois que l’histoire était un sacerdoce ; on peut ajouter que, pour être ordonné historien, il faut avoir fait vœu d’impartialité. Personne n’a mieux compris cette stricte obligation que. M. le comte Alexis de Saint-Priest, dans son récit de la Chute des Jésuites au dix-huitième siècle. Les lecteurs de la Revue connaissent déjà cet important travail, excellente page d’histoire, la meilleure sans contredit qui ait été écrite sur ce sujet. En se servant de documens précieux et jusqu’ici inconnus, M. de Saint-Priest a su allier la sagacité de l’historien à la modération de l’honnête homme. Son livre, entre les pamphlets et les apologies qui courent, est une bonne leçon dont on ne profitera point. N’importe, c’est ainsi qu’il convient d’intervenir dans un sérieux débat. On a un grand cortége, sans qu’il y paraisse, quand on a à ses côtés la justice et la raison.

Voir les faits historiques d’un œil pénétrant et juste, puis les exposer d’une main ferme, est un rare mérite ; dramatiser l’histoire en est un aussi. M. Vitet possède celui-là à un haut degré. Sa nouvelle édition des Scènes historiques de la Ligue, qui eurent, sous la restauration, un beau succès et une incontestable influence, prouve que l’écrivain appuyant son œuvre sur le talent et la conscience peut dormir tranquille, sans craindre les bourrasques : sa maison est assurée. Les Scènes de la ligue n’on pas vieilli, et, par ce temps-ci, ce n’est pas un mince éloge à leur adresser. M. Vitet a placé en tête de sa nouvelle édition un long morceau écrit de main de maître, où les fins aperçus abondent sur les diverses manières d’exploiter la mine historique. Quand on est un si spirituel critique dans la préface et un si habile metteur en œuvre dans le livre, on mérite de sérieux reproches si, dès la première course, on a laissé reposer sa plume. — Au reste, nous n’entendons nous prononcer ici que sur le talent de M. Vitet, et non, au fond, sur la question d’art, question délicate, qui pourrait être longuement débattue : il est si difficile d’interroger la balance pour savoir au juste la portion d’idéal que le dramaturge ou le romancier doivent introduire dans l’histoire !

Au moment où l’on frappe des médailles au jeune orateur qui, du haut de la tribune de la pairie, ne prononce jamais le nom de Grégoire VII sans le faire précéder du mot saint, au moment où le vieux drapeau d’Hildebrand reparaît, violemment agité par des mains débiles et fiévreuses, une histoire de ce pape célèbre, écrite sans préoccupation de parti, doit être la bien-venue auprès des gens sincères et impartiaux. Certes, M. Delécluze ne prévoyait pas la situation actuelle, lorsque, s’entourant de tous les documens qui peuvent éclairer le XIe siècle, il faisait simplement acte d’érudit. Le bruit qui s’est élevé autour de M. Delécluze, à mesure qu’il traçait son histoire, ne l’a point détourné de sa détermination : première il a continué sa tâche sans sacrifier