Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/114

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que, si elle ne se faisait pas sans plus tarder et avec l’exactitude requise, une incertitude croissante ne finît par envahir cette portion si considérable de notre héritage religieux et littéraire. Un homme qui a plus que du talent, un grand esprit et une plume éloquente, c’est nommer M. Cousin, s’était porté en avril 1842 sur Pascal, au moment où d’autres écrivains s’en occupaient également ; mais il s’y était porté avec les caractères propres à sa nature entraînante et impétueuse. C’est la destinée et l’honneur de certains esprits, c’est la magie de certains talens illustres, de ne pouvoir toucher à une question qu’elle ne s’anime à l’instant d’un intérêt nouveau, qu’elle ne s’enflamme et n’éclate aux yeux de tous. Ainsi pour Pascal. Faire remarquer que le texte des éditions des Pensées n’était point parfaitement conforme au texte original, que les premiers éditeurs avaient souvent éclairci et affaibli, que les éditeurs suivans n’avaient rien fait pour réparer ces inexactitudes premières, dont quelques-unes n’étaient pourtant pas des infidélités, appeler l’attention des hommes du métier sur ces divers points, les mettre à nu par des échantillons bien choisis et indiquer les moyens d’y pourvoir, il n’y avait rien là, ce semble, qui pût passionner le public et le saisir d’une question avant tout philologique. Mais M. Cousin, d’une plume incisive et comme d’une épée de feu, avait, du premier coup, élargi le débat ; les points choisis par lui tendaient à montrer Pascal bien autrement sceptique qu’on ne s’était habitué à le considérer ; il semblait résulter que les rectifications et les restitutions du texte primitif étaient toutes dans ce sens de scepticisme absolu ou de christianisme outré, et contraires aux idées saines d’un apologiste vraiment respectable. En un mot, ce n’était plus le texte seul de Pascal qu’on mettait en cause, c’était l’homme même et le chrétien. De là l’intérêt et le conflit universel. Il serait piquant, mais extrêmement difficile, de retracer la confusion de cette mêlée ; chacun prenait la plume, ou du moins la parole, pour ou contre Pascal. Il était décidément à l’ordre du jour, et ceux qui avaient le malheur de passer pour être un peu mieux au fait de la question ne savaient plus à qui répondre dans le monde, ni même le plus souvent qu’en penser. Du choc des opinions en telle matière, je ne crois pas que la lumière puisse jaillir, quoiqu’on dise ; on n’en retirait certainement ici que doute et obscurcissent, peu de satisfaction et beaucoup de satiété. J’ai souvent pensé, durant ces débats si prolongés, combien Pascal aurait souri de pitié et d’ironie s’il avait pu y assister, s’il avait pu voir comment le livre tout d’édification et de guérison intérieure qu’il méditait était venu, deux siècles après, en se dispersant en feuilles légères,