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mieux qu’un poète se trompe en exagérant sa force qu’en diminuant sa dignité.

M. Barthélemy pense sans doute le contraire, car il me semble s’occuper médiocrement de la dignité de sa muse ; il l’emploie à toute besogne. Ce Tyrtée, dont les éclats de colère avaient un long retentissement, psalmodie à froid sur toute sorte de sujets : tous les sujets lui sont bons. Némésis, l’ardente Némésis, délaie en plusieurs chants des prospectus d’empirique ; les muses ont leurs destins.

M. Barthélemy est, avant tout, écrivain politique, c’est là sa vocation prononcée. Quand il fit son entrée dans le monde, les questions littéraires étaient en feu ; se prononça-t-il contre ou pour la nouvelle école ? Il se prononça contre M. de Villèle. Même, quand de la satire il s’éleva jusqu’au poème, et qu’il alla fouler, sur les traces de Napoléon, les sables d’Égypte, ce fut encore une manière de faire de l’opposition, une autre façon d’entonner le Chant du Départ. Pauvres satires politiques ! elles ne conmnandent pas au sort. Qu’est devenue la Villéliade ? et que sont devenus les poètes ? Pendant que l’un chante l’Art de fumer, l’autre s’amuse à créer les plus invraisemblables fictions, les plus étranges paradoxes ; il peint une nature qui n’a jamais existé, il invente un ciel, une végétation et des animaux, il invente surtout ses personnages parlans, et si vous vous arrêtez, ébahi, pour contempler cet étonnant paysage, n’entendez-vous pas, au coin du bois, le rire d’un faune moqueur ?

Il ne faut pas essayer de relire les satires de M. Barthélemy qui ont précédé la Némésis. Malgré l’esprit, la verve mordante, on trouverait cela aujourd’hui d’un froid glacial : l’ame y manque ; ce sont des maisons élégamment construites et inhabitées. C’est la Némésis qui est l’œuvre capitale du poète. Œuvre de violence et en même temps travail d’excellente versification, la Némésis obtint un bruyant succès qui était justifié. M. Barthélemy savait frapper les rudes coups. Son vers, froid jusque-là, et qui l’est redevenu bientôt après, s’était enflammé. Sa colère fut une fournaise où cet acier vint se rougir. Il faut dire qu’en revoyant cela à distance, on s’aperçoit que la vraie chaleur intérieure est absente, et que ce fer rougi ne brûle pas toujours. L’invention, l’élévation de la pensée, n’étaient pas nécessaires pour réussir en un pareil ouvrage ; il fallait pouvoir étonner par la violence continue de l’invective : c’est ce que faisait parfaitement M. Barthélemy ; mais ce rôle n’est possible qu’un moment, tant que dure l’effervescence populaire. Le public alors est de moitié avec le poète : c’est une œuvre à deux ; et quand la passion populaire se ralentit, ce qui arrive bientôt infailliblement, le poète est obligé de changer de ton, pour ne pas avoir l’air de détonner, ou de se taire. Les triomphes de ce genre ne peuvent se prolonger : un poète populaire qui exploite une situation violente ne survit pas à sa victoire, et je ne puis mieux le comparer qu’à ce valeureux combattant qui fit merveille à la prise du Louvre, et, mortellement blessé, fut déposé sur le trône, où il expira.