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que c’est par vocation. Je n’ignore pas cependant qu’il n’a jamais eu en son art une confiance illimitée, et qu’il a souvent appelé l’étranger à son secours. Dans ses romans, il s’était, je le crains, adressé à la politique pour attirer la foule ; il fut trompé dans son attente : ce qu’il donnait à ses fictions comme un passeport les empêcha, au contraire, de circuler. L’art seul, sans compère, eût infailliblement mieux réussi. Au théâtre, il avait choisi un autre complice ; il avait compté, dit-on, sur un peu de scandale, ce qui, en certains cas, est le succès ; il y eut beaucoup de scandale, ce qu’il n’avait pas prévu. Tout cela ne prouve point que M. de Latouche n’écrive par passe-temps, pour occuper ses loisirs ; cela ne prouve pas non plus qu’il n’y a pas chez lui vocation d’écrivain, et qu’il n’eût pu, en suivant une autre voie, écrire de bons et beaux livres, je ne dis pas devenir un grand poète.

Mille e tre ! les Adieux renferment beaucoup de vers d’amour ; que de femmes reçoivent l’hospitalité du poète, toutes fort jolies, je le suppose, mais de caractères divers ! L’ingénue et la coquette, la Sapho et la femme poète et naïve, passent et repassent, tour à tour adorées et bénies, maudites et déchirées. Il y a quelques traits profonds et bien sentis ; mais l’amour, en vers comme dans la réalité, vit d’abandon et d’enthousiasme, et c’est précisément l’enthousiasme et l’abandon qui manquent presque toujours à cette poésie amoureuse. Décidément aucune maîtresse du poète ne deviendra, dans notre mémoire, la rivale de Cynthie, de Laure ou d’Elvire, pas même d’Éléonore. Voici des vers qui, certes, ne sont pas les moins bons :

Le bonheur, s’il existe en ce morne univers,
Quel est-il ? Souffrir deux, et sans erreur se dire :
« L’autre avant moi, pour moi, prévient l’aube et respire ;
« Il veille pour savoir, vouloir ce que je veux,
« Au ciel avant les siens pour adresser mes vœux ;
« Il m’aime comme on prie, à toute heure, en silence ;
« Quelque exil que j’habite, à moi son cœur s’élance. »

Comparez à cela les Deux Pigeons de La Fontaine ! La passion, chez M. de Latouche, a une allure quasi didactique. L’art se fait toujours sentir, comme si l’art, en cette matière surtout, ne devait pas être semblable à la fée qui répand ses bienfaits sans se montrer. L’effort ici est presque toujours visible, le vers est laborieux, l’image recherchée, et souvent la liaison n’existe pas d’une phrase à l’autre. Que de vers parasites, si on s’amusait à les relever ! C’est à ce point qu’on doit supposer plus d’une fois que tel morceau assez long n’a été écrit que pour les deux beaux vers qui s’y trouvent et qui étaient faits d’avance. Bien des gens ne les aperçoivent pas dans ce pêle-mêle ; il faut être un véritable amateur pour traverser des broussailles au risque de se déchirer, et aller cueillir tout au bout un petit laurier-rose. Pourquoi M. de Latouche ne rencontre-t-il pas plus souvent l’inspiration charmante à laquelle il doit les Hirondelles, le Roitelet ? Pourquoi a-t-il si