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montagnes pelées, Pétrarque n’a pu trouver un vers pour peindre l’horreur du lieu qu’il habitait. Grâce à l’euphémisme et aux omissions tout antiques de sa poésie, il a fait illusion à ceux qui après lui ont visité ou chanté Vaucluse. Vaucluse est resté pour tout le monde tel que Pétrarque l’avait fait. Qu’un poète du Nord, que Schiller ou Byron eussent porté dans cette retraite le tourment d’une passion sans espoir, quelle peinture nous aurions de roches sauvages, d’affreuses solitudes ! Pétrarque a fermé les yeux à la désolation et à l’aridité du sol, il n’a voulu voir que les belles eaux limpides. Le poète italien a fait exactement ce qu’un poète grec eût fait à sa place.

Les poètes grecs ont donc embelli la nature qu’ils peignaient, non que la beauté manque à la Grèce, il faut s’entendre : ce qui est beau en ce pays, ce sont plutôt les lignes que les formes, c’est plutôt la mer que la terre, c’est plutôt le ciel que le paysage, c’est par-dessus tout la lumière. La vraie parure de la Grèce est cette mer admirable qui l’entoure comme une ceinture nouée derrière elle, et dont les plis azurés ondoient avec tant de grâce sur ses flancs. La Grèce est presque une île, presque partout elle est cernée par les flots, et l’on conçoit que ses anciens habitans, qui retrouvaient toujours la mer, se soient représenté l’océan comme un grand fleuve entourant toute la terre. C’est ainsi qu’Homère le peint sur le bouclier d’Achille, et Hésiode sur le bouclier d’Hercule.

Je ne crois pas qu’il y ait dans le monde un pays aussi insulaire que la Grèce ; elle se compose en partie d’un archipel et d’une péninsule, le reste est entamé, pénétré par une foule de golfes sinueux. A chaque pas qu’on fait dans l’intérieur du pays, on rencontre la mer ; avec une coquetterie gracieuse, elle vient partout chercher le voyageur, et semble à chaque instant lui dire : Me voici, arrête-toi, regarde comme je suis belle. On pourrait étendre à toute la Grèce le nom de l’Attique, qui veut dire rivage[1].

Aussi la mer est partout présente dans les œuvres des poètes grecs ; tous ont traité avec une complaisance particulière et un charme infini ce qu’on pourrait appeler la poésie de la mer. Les aventures de l’Odyssée se passent presque entièrement sur les flots ; la scène de l’Iliade est constamment sur une plage. La mer fournit aux poètes grecs des comparaisons fréquentes. On sent partout, en lisant les auteurs, comme en parcourant le pays ou son histoire, que la Grèce est essentiellement navigatrice, que de grandes destinées maritimes

  1. L’ancien nom de l’Attique était Actê, qui veut dire rivage ou presqu’île.