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douce Ionie remplie d’Homère, et partout j’ai cherché dans l’aspect des lieux, du ciel, de la lumière, des monumens, la révélation du génie des poètes. J’ai demandé aux traditions et aux coutumes populaires ce qu’elles gardaient de la vie antique, j’ai voulu retrouver ce qui fut dans ce qui est encore. Ne pouvant tout voir, j’ai puisé dans les voyageurs les plus dignes de foi ce qui devait rendre moins imparfait un travail que j’espère d’ailleurs compléter par un second voyage. Commentateur d’un genre nouveau, mon commentaire, c’est un pays et un peuple.

Avant de toucher la terre de Grèce, en relisant Homère sur ces flots témoins des erreurs d’Ulysse, en rasant le promontoire de Circé ou les rochers des Sirènes, je ne pouvais m’empêcher de trouver déjà dans ma navigation même un premier commentaire de la poésie homérique. Quand la mer était paisible, je songeais à l’Odyssée ; quand elle était furieuse, je pensais à l’Iliade. L’Odyssée ressemble à un voyage par un temps calme près des rivages de la Méditerranée. Tandis qu’on glisse sans effort sur l’onde unie pareille à une glace bleue, on voit se succéder, dans la nature comme dans le poème, des aspects toujours variés et toujours charmans, on change insensiblement de perspective et d’horizon ; on aime à se sentir avancer lentement, et à ce plaisir se mêle parfois quelque impatience d’arriver. L’Iliade est une tempête soudaine qui vous saisit et vous emporte à travers le tourbillon des vagues. Le vent se lève, la foudre brille et retentit ; éclair sur éclair, tonnerre sur tonnerre, flot sur flot ; on ne respire pas, on est haletant, bondissant, éperdu. Par moment, la nue se déchire, et l’on aperçoit un petit coin du ciel ; puis la nue se referme, l’orage vous reprend avec furie, vous pousse, vous entraîne, s’apaise enfin, et une grande tranquillité se répand dans le ciel et sur la mer. Oui, si l’on retrouve ordinairement le type de l’art dans la nature, il est des momens où la nature elle-même semble une image de l’art. Admirable grandeur du génie humain ! ouvrez Homère, et vous y verrez un reflet de l’œuvre de Dieu ; contemplez l’œuvre divine, et vous y pourrez lire comme une merveilleuse traduction de la poésie d’Homère.

Au moment de mettre le pied sur le sol hellénique, je dois avertir le voyageur qui cherche la Grèce antique dans la Grèce moderne, qu’il doit se résigner à quelques désappointemens ; Cythère, aux gracieux souvenirs, est un affreux rocher anglais. Quelquefois le hasard s’amuse à déjouer les ressemblances qu’on cherche par de malicieux contrastes. Ainsi, j’ai doublé à mon grand regret, par le plus beau