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et les mœurs des gitanos. Rentrés à Londres, les prédicateurs désappointés firent proclamer par leurs journaux que l’Espagne se débattait dans les ténèbres de l’ignorance, et que le fanatisme catholique serait un obstacle invincible aux développemens du progrès social. MM. Balmes et Romo furent sensibles à un tel reproche ; l’un et l’autre s’attachèrent à établir, M. Balmes dans son Catolicismo comparado con el protestantismo, le second dans un livre spécial qui a pour titre Ensayo sobre la influencia del Luteranismo (Essai sur l’Influence du Luthéranisme), que depuis le XVIe siècle, le protestantisme avait été en Europe le seul ennemi de la liberté. Nous nous éloignerions un peu trop de l’Espagne, si à notre tour nous entreprenions de débattre une question pareille. Ce ne sont pas d’ailleurs les pages consacrées à la controverse qui, à notre sens, recommandent ces deux livres ; nous préférons de beaucoup les beaux passages qu’ils renferment sur l’énergie du sentiment religieux au-delà des Pyrénées. MM. Balmes et Romo n’ont pas de peine à le démontrer : dans un pays où la croyance dogmatique s’est maintenue tout entière au fond des consciences, c’est un bonheur véritable que l’unité de la foi. Nous-même, parmi les convulsions de la guerre et durant ces crises où le génie méridional s’exalte jusqu’au dernier paroxisme de la haine, nous avons observé attentivement le sentiment religieux en Espagne, et nous avons frémi des calamités qu’une sérieuse tentative de schisme eût infailliblement entraînées. Heureusement, si le voltairianisme a pu, en Espagne, refroidir les esprits à l’égard de la monarchie et de l’autorité temporelle, l’autorité du dogme, n’ayant, à aucune époque, contracté avec l’autorité temporelle de solidarité compromettante, ne s’est jamais vue sérieusement entamée. Ce sont les ministres du même Dieu qui, durant les dernières crises, ont assisté les vaincus de tous les partis dans ces funèbres chapelles où sont venues successivement s’agenouiller tant et de si illustres victimes, Diego de Léon à Madrid, Torrijos à la Corogne, à Pampelune Léon Iriarte, dans cette même ville Santos-Ladron. Remontez plus haut, vous verrez que, de l’insurrection des comuneros aux déclarations de 1812, de 1822, de 1823, de 1840, il n’y a jamais eu de pronunciamiento que l’on n’ait, dès le début, proclamé le maintien et l’intégrité du dogme catholique. Dans les récentes guerres de Biscaye et de Navarre, les armées des deux partis observaient une sorte de trêve du Seigneur le dimanche et les jours de fête ; nous nous souvenons que pendant les solennités de Noël, qui, en 1833, suivirent la fameuse levée de boucliers de novembre, il ne se commit point une seule exaction, un seul acte de violence ; il ne se tira pas un seul coup d’escopette entre Val-Carlos et Élissondo,

Si nous avons insisté sur la question religieuse, c’est que des publications de MM. Jaime Balmes, Tarancon, José Romo, Severo Andriani, de tous les instincts nationaux, de toutes les croyances populaires, il ressort incontestablement un fait qui heurte de front les opinions actuellement reçues en Europe. Ce pays, où l’ultramontanisme était jadis si hautain, si absolu, si intraitable, est aujourd’hui le moins disposé à confondre les deux domaines ;