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principes, règles et convenances. Cependant, autour d’eux murmure sourdement une réaction profonde, elle s’étend, elle éclate, et nos triomphateurs, violemment arrachés de leur char, voient, par une révolution irrésistible, tomber leur couronne, et leur dictature s’évanouir.

La véritable critique ne saurait avoir ce caractère de vivacité souvent injuste qui ne manque jamais aux réactions. Comme elle n’a pas le langage d’un enthousiasme irréfléchi, elle ne saurait prendre l’allure d’une proscription ardente. Elle ne s’inspire ni des passions d’une époque, ni des caprices de la mode, elle a les yeux fixés sur les lois permanentes de l’art, et sur les conditions du beau dont elle cherche à pénétrer l’essence. À ces lois, à ces conditions, à ces principes, elle compare les productions des inventeurs, et c’est en vertu de cette comparaison qu’elle rend ses arrêts. La cause de l’art n’est pas moins servie par la critique que par l’invention. Le poète crée, la critique explique cette création au poète lui-même et aux autres ; elle en signale les beautés, elle en marque les imperfections, les faiblesses et les vices. Dans la sphère de l’art, l’esprit humain se développe autant par le jugement que par l’imagination, et, pour avoir l’entière conscience du beau, il n’a pas moins besoin des philosophes que des artistes.

De nos jours, plusieurs écrivains semblent courir au-devant des jugemens de la critique avec un empressement singulier ; en effet, à peine à la moitié de leur carrière, ils nous donnent leurs œuvres complètes, et ils nous les donnent le plus qu’ils peuvent dans des éditions dites populaires. Nous ne voulons pas rechercher si à cet amour de la renommée ne se mêlent pas souvent des convoitises moins nobles : peut-être tel auteur qui prétend n’avoir d’autre ambition que de se mettre entre les mains du peuple, a souvent entassé bien des calculs sur les gains considérables qu’il attend ; mais nous écartons à dessein tout ce qui ne relève pas exclusivement de la juridiction littéraire de la critique. Autrefois, c’était seulement dans les dernières années de leur vie que les auteurs songeaient à rassembler complètement leurs œuvres, plus souvent même ils laissaient cet office à leur famille ou à l’amitié. Aujourd’hui, à voir avec quel soin, avec quelle hâte des écrivains encore dans la force de l’âge recueillent tous leurs titres, on dirait qu’ils n’ont plus de confiance dans leur avenir, et qu’en quelque sorte ils l’abdiquent. Quoi qu’il en soit, la critique trouve dans ces collections prématurées une occasion légitime de dire sa pensée avec plus d’ensemble, de réflexion et de franchise.

Une certaine puissance lyrique et le talent de conter sont les qualités qui distinguent surtout Mme Sand. Jusqu’à un certain point, ces