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sur quelques points des antiquités castillanes, son livre est si obscur, si confus, l’élément scientifique y est si mal distribué, qu’il n’est jamais arrivé à personne de le parcourir jusqu’au bout. Il y a peu d’années, l’académie de Madrid a essayé de rassembler tous les documens qui, de près ou de loin, intéressent les anciennes cortès. La publication a bientôt cessé faute de fonds, et peut-être faute de courage et de bon vouloir. L’académie de Madrid est bien déchue de sa splendeur première ; il faudrait plus d’une réforme pour la mettre en état de s’associer au mouvement par lequel se régénère le pays tout entier. Dans ses leçons sur la législation et le gouvernement de l’Espagne, M. Pidal déplorait le profond abaissement du premier corps savant de la Péninsule. M. Pidal était hier président du congrès ; il est aujourd’hui ministre de l’intérieur, et c’est son parti qui mène les affaires. N’est-ce point à M. Pidal et à ses amis qu’il appartient de reprendre l’œuvre, si malheureusement avortée, de l’académie de Madrid ?

Ce n’est point là cependant le plus grave reproche d’indifférence qui se doive adresser à l’Espagne actuelle. La plus importante branche des antiquités espagnoles, et à coup sûr la plus intéressante, c’est l’étude du régime musulman, le vrai régime du Koran, celui que Mahomet a rêvé, lequel ne s’est pleinement développé que dans la Péninsule. Cet amas singulier de problèmes qui se nomme la civilisation arabe, c’est l’Espagne, la seule Espagne qui nous en peut donner la solution péremptoire ; c’est elle qui, dans ses bibliothèques, en possède tous les élémens. Et cependant, depuis l’expulsion des Maures, l’Espagne n’a pas même daigné y prendre garde ; il a fallu que des étrangers se soient donné la peine d’exploiter les premières couches de cette mine, qui renferme les plus précieuses richesses de l’Orient, nous voulons dire les véritables dogmes de l’islam, les maximes véritables de sa philosophie. Rencontrant partout le mahométisme aux extrémités de l’Asie, l’Angleterre a sérieusement étudié l’histoire d’un si incommode et si opiniâtre voisin. Ce sont les nécessités politiques qui ont inspiré les remarquables travaux des Sale, des Millet des Murphy. Jusqu’à ce moment, un seul Espagnol est entré dans les voies ouvertes par l’Angleterre, don Pascual Gayangos, qui a traduit en 1840 l’Histoire des dynasties mahométanes d’Espagne, de l’Arabe Ahmed-ben-Mohammed. Pour notre compte, nous n’hésitons pas à mettre ce livre au-dessus de tout ce que l’on a jusqu’ici publié sur Mahomet et le mahométisme. Nous le répétons, l’ancien régime musulman est profondément ignoré en Europe. Aucun écrivain, aucun philosophe n’en a pu saisir, faute de données suffisantes, les traits distinctifs et le réel caractère ; il en est résulté que de tout temps on s’est mépris sur le Koran, sur la mission de Mahomet, sur sa doctrine religieuse et philosophique. Le livre traduit par M. Gayangos n’est point une histoire, mais un abrégé lumineux, une exacte analyse des plus précieuses chroniques arabes, de celles même qui remontent aux premières invasions. C’est le tableau le plus vaste que l’on ait encore tracé des splendeurs et des vicissitudes de l’islam.

Don Pascual Gayangos ne s’est pas borné à traduire le livre de