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sous le ministère Bravo, réduisit M. Corradi au silence. Depuis quelques jours à peine, M. Corradi s’est de nouveau lancé au plus épais de la mêlée quotidienne ; il rédige en ce moment el Clamor publico (le Cri public), qui, pour les principes et pour le ton de la polémique, reproduit fort exactement l’ancien Eco del Comercio. A notre sens, M. Corradi eût été bien mieux inspiré de remonter avec calme dans sa chaire de l’Athénée. C’était là le meilleur moyen de se montrer supérieur à la persécution qu’il a subie naguère : quel plus noble refuge que la science contre les haines et les passions des partis ?

Nous félicitons les revues espagnoles d’avoir résisté à l’entraînement de ces passions et de ces haines. Ce n’est pas que la Revista de Espana y del Estranjero et la Revista de Madrid ne se soient nettement prononcées en faveur du régime actuel, comme le Castellano on le Corresponsal ; mais quand on poursuit, par l’étude sérieuse de l’histoire, de la philosophie, de l’économie politique, la solution d’un problème aussi vaste et aussi complexe que la régénération de l’Espagne, on peut bien pousser à la réaction, tant que les institutions et les principes s’y trouvent seuls compromis : du moment où cette réaction atteint les personnes, on n’hésite pas à la condamner. Nous devons le rappeler à l’honneur de la Revista de España y del Estranjero et de la Revista de Madrid, l’une et l’autre ont énergiquement blâmé les mesures violentes par lesquelles M. Bravo s’était délivré de ses adversaires. Ce qui nous étonne, c’est que l’une et l’autre n’aient point vu, dès le premier jour, que la réaction contre les personnes est la nécessaire et inévitable conséquence de la réaction contre les idées.

La Revista de Madrid a pour directeur don Francisco Cardeñas, esprit laborieux et d’une distinction réelle ; mais ce sont les travaux d’histoire, de législation, d’économie, de MM. Alcala-Galiano et Donoso-Cortès, qui, dans ces derniers temps, lui ont acquis une véritable importance. La Revista de España y del Estranjero a été fondée par M. Moron. M. Moron a pour collaborateurs presque tous les écrivains, poètes, critiques, historiens, publicistes, qui ont un certain renom dans la Péninsule : la Revista de España peut donner une idée exacte du mouvement intellectuel en Espagne, puisque, après tout, c’est principalement dans son sein que ce mouvement se produit. Pour tout ce qui a rapport à la Péninsule, ce recueil justifie parfaitement son titre ; il est moins heureux pour ce qui concerne l’étranger, à part la philosophie et l’économie politique. M. Moron et ses amis ont beaucoup à faire encore, beaucoup à étudier et à réfléchir, avant qu’il leur soit possible d’apprécier, peut-être même de comprendre pleinement la situation présente de nos arts, de nos lettres, de nos sciences. Nous aurions l’embarras du choix, si nous tenions à citer des exemples : qu’il nous suffise de dire que pour les ressources du style, pour la délicate et profonde analyse des passions et des sentimens, pour l’exacte peinture des mœurs, la Revista de España a placé M. Scribe à côté de Molière, et à côté de Shakspeare pour la force et la variété des situations.