Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/923

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

force d’audace il a triomphé de notre faiblesse, qu’un an après nous sommes devenus ses auxiliaires, et que nous reconnaissons ses blocus !

Toute cette affaire, déroulée pour la première fois devant le pays, y produira un effet immense. Rarement tableau a été tracé avec plus de précision et de grandeur, et M. Thiers, de l’aveu même de ses adversaires, a retrouvé sur ce terrain tout nouveau ses plus heureuses inspirations. Ces révélations inattendues ont d’abord produit sur la chambre un effet impossible à décrire, et le ministère a paru un instant croire qu’une résolution de la majorité, dont il eut été difficile de préciser la forme, allait venir lui imposer dans cette affaire des devoirs analogues à ceux qu’on lui a tracés dans d’autres circonstances. On parlait même déjà du deus ex machinâ de M. Jacques Lefebvre, ou tout autre immortel appelé à couvrir la retraite par un amendement conservateur.

Les bruits les plus divers circulent sur les motifs qui inspireraient la conduite du gouvernement anglais dans cette affaire. D’accord avec M. de Lurde, M. de Mandeville avait énergiquement réclamé la cessation des hostilités pendant les derniers mois de 1842 et au commencement de 1843. Depuis, cet agent diplomatique et le commodore Purvis, commandant de la station anglaise dans la Plata, se sont bornés à couvrir énergiquement les intérêts de leurs nationaux, et n’ont mis aucun obstacle aux projets de Rosas sur Montevideo, On dit que le blocus de cette grande place maritime, où l’influence française est dominante, sert de nombreux intérêts anglais dont le siège est de l’autre côté du fleuve. On parle de la jalousie avec laquelle on voyait à Londres se développer, sur ce point admirable de l’Atlantique, une sorte de colonie française ; on va jusqu’à supposer des projets ultérieurs, dont l’acquisition du petit territoire de Colonia, aux bouches de l’Uruguay, ne serait qu’un habile préliminaire. La plupart de ces conjectures sont trop vagues pour bien fixer la pensée publique. Le seul fait certain, c’est que l’intérêt de la France à Montevideo est plus sérieux que celui de l’Angleterre, qu’elle a de nombreux nationaux à défendre, et qu’elle ne saurait oublier les faits qui se sont passés depuis 1838, de quelque manière qu’elle les juge. Un gouvernement s’engage aussi bien par ses fautes que par ses actes les plus utiles ; d’ailleurs, un traité formel a été signé, et il n’est pas même nécessaire d’être publiciste pour se rendre compte de la valeur d’une clause de garantie. Une telle stipulation ne saurait sans doute avoir pour effet de prévoir à tout jamais les collisions éventuelles entre deux peuples indépendans ; mais la portée évidente d’une clause de cette nature est au moins d’arrêter la guerre qui a été l’occasion immédiate de la convention intervenue. Le simple bon sens suffit ici pour interpréter l’acte lui-même. Cette interprétation d’ailleurs n’a-t-elle pas été officiellement donnée au nom de son gouvernement par le ministre français à Buenos-Ayes ? Pourquoi n’est-elle plus admise aujourd’hui ? Tel a été le dernier mot de l’honorable M. Thiers dans la séance de mercredi.

La suspension que la chambre a imposée à ses travaux, pour rendre les