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Dans le chant que met André Chénier sur les lèvres d’Homère, il assemble toute une série de grands sujets, et tandis que se déploie devant nous ce riche canevas, ce tissu des saintes mélodies, on y reconnaît et on se rappelle successivement, tantôt le chant de Silène dans l’églogue VIe de Virgile, tantôt le bouclier d’Achille et les diverses scènes qui y sont représentées, puis encore des allusions à diverses circonstances de l’Odyssée ; mais, vers la fin du chant, le combat des Centaures et des Lapithes prend le dessus, et tout d’un coup on y assiste. Ovide, au chant XII des Métamorphoses, avait déjà mis un récit de cette mêlée dans la bouche de Nestor ; Chénier n’a pas à redouter ici la confrontation, et dans ce tableau qu’il résume, pour la vivacité, pour la vigueur concise, il garde bien ses avantages. M. Fremy élève à ce propos une singulière chicane qui a tout l’air d’une méprise ; il reproche au poète d’avoir, dans la peinture du Riphée, employé ce vers :

L’héréditaire éclat des nuages dorés.

« Une expression d’un goût aussi moderne que celle de l’héréditaire éclat suffit, sans doute, ajoute-t-il, pour détruire toute l’harmonie de la couleur antique. » Et il continue de raisonner en ce sens. Il n’y a qu’un petit malheur, c’est que Chénier ne parle pas du Riphée montagne, mais de Riphée, l’un des Centaures, ce qui est un peu différent. M. Fremy aura pris, de réminiscence, ce Centaure pour la montagne. Les Centaures, notez-le bien, étaient fils de la nue, et le poète dit de Riphée, l’un des plus superbes, qu’il rappelait les couleurs de sa mère, en d’autres termes, qu’il

... portait sur ses crins, de taches colorés,
L’héréditaire éclat des nuages dorés.

Ce vers est exprès tourné au faste, à l’ampleur, et il exprime à merveille l’orgueil du monstre, fier à la fois de sa naissance et de sa crinière.

Les élégies de Chénier, malgré quelques réserves qui sont là pour la forme, n’échappent pas au puritanisme classique de M. Fremy : « Souvent, dit-il, André Chénier étale une sorte d’érudition de commande qui achève de donner à ses poésies un air d’emprunt et de placage ; il commence ainsi une de ses élégies :

Mânes de Callimaque, ombre de Philétas,
Dans vos saintes forêts daignez guider mes pas... »

C’est M. Fremy qui souligne le mot daignez, et il poursuit durant une demi-page en notant, dans le premier de ces deux vers, un peu de pédanterie,